Interpellation de Mme Fatoumata SIDIBE, Députée bruxelloise FDF, à Mme Bianca DEBAETS, Secrétaire d’Etat, chargée de la Coopération au développement, de l’Egalité des Chances, de la Sécurité routière, de l’Informatique et du Bien-être animal – Lundi 4 mai 2015.
Concerne : La discrimination à l’entrée des discothèques et des lieux de sorties. Le compte rendu est disponible ici.
De nombreux citoyens sont systématiquement confrontés à des discriminations à l’entrée des discothèques et dans les lieux de sortie. Souvent sans raison valable, sur base de critères aléatoires et/ou arbitraires, Certains jeunes parlent de sélection au faciès, d’un racisme qui ne dit pas son nom. Les jeunes disent « On s’est habitués à ça… Même quand notre tenue vestimentaire est irréprochable, notre attitude et langages polis, on se fait recaler ».
En août 2013, je me suis vue refuser l’entrée d’un restaurant à l’heure du midi au motif que je ressemblais à une « jeune femme de type mulâtre qui se livrerait à la grivèlerie, c’est-à-dire qui rentre dans le restaurant, mange et repart sans payer ! Je leur ai dit que je n’étais pas ce genre de personne, l’accès m’a été refusé. J’ai dû appeler la police et insisté, je dis bien insisté, pour porter plainte pour discrimination !
Récemment, un jeune m’expliquait que lorsqu’on lui a refusé l’accès dans une discothèque, il a appelé la police, venue d’ailleurs à plusieurs, on lui a rétorqué « Le portier est noir, ça ne peut pas être du racisme ! » La preuve qu’il y a du travail d’information et de sensibilisation à faire aussi au niveau de la police !!
« Le racisme n’est pas seulement une question de mauvais sentiments, voire de haine à l’endroit des personnes ayant d’autres appartenances culturelles. C’est aussi – et même surtout – un ensemble de conséquences matérielles concrètes (…) : absence d’accès à un logement décent, absence d’accès à un emploi stable offrant des perspectives durables, absence de droit à un enseignement de qualité, inégalité de traitement dans les services et les loisirs »[1].
De nombreux jeunes sont confrontés à la discrimination dans les discothèques et dans les lieux de sortie, malgré l’existence de lois anti discrimination. Les jeunes qui sont recalés à l’entrée d’une discothèque le vivent souvent mal. Les pratiques de sélection, loin d’être marginales, semblent relever d’un problème structurel par lequel certains groupes sont plus concernés que d’autres.
Les motifs pour interdire l’accès sont très flous. Souvent, il ne s’agit pas, d’ailleurs, d’une interdiction radicale et absolue, mais bien d’une « admission sélective ». Il s’agit de restreindre le nombre de jeunes d’origine étrangère de manière préventive, pour différentes raisons comme par exemple éviter une baisse de la fréquentation du lieu.
Pour reprendre les termes du Centre pour l’Egalité des Chances et la lutte contre Le Racisme en 2009, « les exploitants et les portiers se protègent contre cette spirale par le biais de mesures préventives. Ils admettent qu’ils mènent à cet égard une politique d’admission restrictive. Une politique d’admission restrictive est menée à partir du moment où le portier/l’exploitant estime que continuer à accepter des allochtones aura pour résultat, de l’avis du reste du public, une trop haute concentration de jeunes allochtones. Les attentes dans ce domaine sont généralement basées sur des expériences du passé. Les exploitants reçoivent des signaux à ce propos, principalement oralement, ou ils voient le nombre de clients autochtones diminuer.
La conséquence en est que les personnes d’origine allochtone se verront refuser l’accès à partir de ce moment-là, tout simplement en raison de leur origine. Alors que la plupart des exploitants reconnaissent le caractère inéquitable de ces pratiques, ils déclarent en même temps qu’en raison de la continuité nécessaire dans l’entreprise, ils ne peuvent pas (ou difficilement) se passer d’une telle mesure.
L’Article 24 de la loi du 30 juillet 1981 tend à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, telle que modifiée par la loi du 10 mai 2007. Les exploitants doivent s’y conformer en interdisant toute discrimination.
Il est permis aux portiers de faire le tri, dans la pratique, en fonction de la tenue vestimentaire, du comportement, de la consommation d’alcool et de drogues, de la taille d’un groupe, etc. Ils ont le droit de poser des actions préventives de contrôle pour maintenir le calme et l’ordre. On peut comprendre la volonté de l’exploitant d’assurer la sécurité. Mais hélas, les limites de la loi sont souvent dépassées et on tombe dans le piège des généralités, « du délit de faciès ».
Pour refuser l’accès, il faut des facteurs objectivement justifiés comme par exemple le fait qu’un client ait causé des troubles dans le passé et qu’il y ait une probabilité de récidive.
Mais en aucun cas, l’acceptation ou le refus des personnes ne peuvent se faire de façon arbitraire. La discrimination (faire une distinction sans raison objective) sur la base de la couleur de peau, l’origine nationale ou ethnique, est interdite et punissable. Les quotas visant à limiter la « surreprésentation » de certains groupes de population sont interdits.
Dans la réalité, il est difficile de prouver que l’appartenance ethnique est la raison du rejet.
Peu de victimes osent faire une déclaration. Peu connaissent leurs droits. Elles peuvent également faire dresser un P.V. par la police. Le Centre, en collaboration avec la police, a établi une liste de points importants pour la rédaction d’un procès-verbal, à l’attention des victimes. Ceci pose la question de la formation et de la sensibilisation spécifique des policiers, des exploitants et des portiers.
Le précédent secrétaire d’État en charge de l’égalité des chances avait relevé, en décembre 2011, l’absence d’une législation régionale « relative à l’accès aux biens et services, liée aux lieux de détente ». Ses services avaient de suite entamé une étude sur la meilleure manière d’attaquer cette problématique, en tenant compte des ordonnances anti discrimination.
Cette recherche, selon le secrétaire d’État, devait aboutir à un cadre juridique régional spécifique au cours de la législature.
En janvier 2013, votre prédécesseur était, en toute logique, interpelé sur l’avancement de cette recherche. L’opportunité d’un label « dancing pour tous » était en même temps avancée. Le travail de réglementation régionale n’avait hélas pas pu être finalisé, et le secrétaire d’État comptait par contre évaluer l’opportunité du label. Il devait également fournir des recommandations aux zones de police.
En mai 2013, le secrétaire d’État organisait une concertation sur le sujet. Mais il hésitait entre le label, l’adoption d’une charte et une déclaration d’engagement. Le 28 juin 2013 et le 4 octobre 2013, il organisait une table ronde avec le secteur Horeca.
Finalement, en janvier 2014, il annonçait la rédaction d’un protocole contre la discrimination et pour la sécurité dans les bars et discothèques bruxellois, en collaboration avec le Centre pour l’égalité des Chances et la lutte contre le racisme (CECLR), la police bruxelloise, le secteur associatif et les exploitants bruxellois.
Les signataires du protocole s’engageaient à ne pas discriminer, et à élaborer une politique d’accès basée sur des conditions objectives. Ils devaient afficher clairement ces conditions à l’entrée de leur établissement. De plus, de son côté, la police s’était engagée à intervenir plus rapidement. Les cas de discriminations devaient être signalés au CECLR, et une communication était mise en œuvre à destination du public, pour l’informer des modalités de signalement.
L’ensemble du projet était d’ailleurs confié au CECLR, ayant pour mission d’en assurer la continuité. Des rencontres avec l’ensemble des partenaires était programmées, à raison d’une tous les six mois. Toujours sous l’égide du CECLR, il était aussi question de créer un système d’alerte anti-discrimination par sms, dont l’opérationnalité était imminente.
Chaque commune, zone de police et discothèque de la Région de Bruxelles-Capitale avaient été conviées à la signature du protocole. Les communes d’Evere, de Jette et de Berchem-Sainte-Agathe, ainsi que les zones de police Midi et Montgomery y avaient déjà souscrit. Les communes devaient, à terme, intégrer les dispositions du protocole dans leur règlement de police. Les systèmes des communes de Gand et de Rotterdam avaient été présentés aux zones de police. Il semblait, à ce moment-là, que le secteur des discothèques était réticent au protocole.
Voici mes questions et je vous remercie pour vos réponses :
– En quoi consiste le protocole exactement ? Est-il contraignant ?
– Sa continuité est-elle effectivement assurée ? Est-ce qu’une première évaluation est disponible ?
– Qui en sont, aujourd’hui, les signataires?
– Les dancings sont-ils finalement partie prenante ?
Si oui, comment la bonne tenue des engagements est-elle vérifiée ?
Si non, quelles sont leurs réticences et quelles solutions y apportez-vous ?
– Où en est l’intégration du protocole dans le règlement de police de chaque commune ?
– Quel est le système des communes de Gand et de Rotterdam présenté aux zones de police, et par conséquent, quel est le protocole d’intervention à Bruxelles, quand la police est contactée pour un cas de discrimination à l’entrée d’un dancing ?
– Les rencontres bisannuelles entre tous les partenaires sont-elles organisées ? Qu’en sort-il ?
– Combien de signalements ont été consignés par le CECLR en 2014 ?
– Quel est le numéro à composer pour envoyer l’alerte par SMS ? Est-ce opérationnel ? Si non, pourquoi ?
Fatoumata SIDIBE
[1] MRAX, Rapport d’activités 2013, p. 39.