Cohésion sociale Intervention de Fatoumata Sidibé, En tant que Présidente du comité belge Ni Putes Ni Soumises 28 mars 2006 à Saint-Gilles.
«Laïcité, mixité, égalité», par Fatoumata Sidibe, présidente du mouvement «Ni putes, ni soumises Belgique». – Page 17. Cahier du fil rouge Actes du colloque 28 mars 2006.
Cohésion sociale… je suis allée vérifier la signification de « cohésion » dans le dictionnaire. Ce mot désigne « la force par laquelle les molécules des corps adhèrent entre elles » et par extension « le caractère du lien logique qui unit entre elles les parties d’un ensemble ». Alors … comment renforcer cette cohésion ? Quel est ce lien qui peut unir ? Comment éviter le fractionnement ? La laïcité, la mixité et l’égalité constituent les pierres angulaires d’un pacte social qui insiste notamment sur le fait « qu’il n’y a pas de combat plus urgent pour l’émancipation des femmes que celui de la lutte contre toutes les formes de violences, d’intégrismes et d’obscurantismes». D’abord, quelques constats : On assiste actuellement en Belgique à la montée du communautarisme, à des replis identitaires, à un retour du machisme, à une banalisation de la violence, à un relativisme qui confond droit à la différence avec la différence des droits. Au nom du relativisme culturel, certaines pratiques, comme le mariage forcé, la répudiation, seraient excusables. Par un subtil renversement des valeurs, le relativisme culturel redéfinit de nombreuses formes de violences comme étant des libertés. Ainsi au cri de « c’est mon choix », les violences faites aux femmes telles que la polygamie, l’excision, les mariages forcés, les crimes dits d’honneur… se trouveraient légitimés. Une réalité que subissent malheureusement encore trop de femmes en Belgique comme en France et ailleurs. En suivant cette logique, on devrait aménager la loi pour certaines catégories de citoyens car l’important serait que chaque ‘communauté’, entendue comme un corps identitaire monolithique obligeant chacun de ses membres, soit satisfaite et respectée dans son mode de vie particulier. Ce qui importerait, ce serait d’avoir la paix et donc de fermer les yeux. Dans ce cas, faut-il s’étonner des dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui? On assiste en effet partout à une régression du statut des femmes. A une banalisation des violences. Aujourd’hui, on observe dans nombre de nos quartiers la disparition de la mixité – les garçons marchent d’un côté de la rue, les filles de l’autre. Les filles sont de plus en plus voilées et sont plus que jamais victimes des traditions: mariage forcé, sorties interdites, surveillance des frères… Elles ne sortent plus le soir. Elles n’osent plus vivre leur féminité sous peine de se faire traiter de putes, elles sont les garantes de l’honneur de la famille. Au delà du voile, c’est le retour à la pudibonderie, « cachez ce sein que je ne saurais voir ». J’ai entendu des femmes dire : « j’apprends à ma fille de 10 ans à porter le voile car à 16 ans, elle ne voudra plus et il vaut mieux qu’elle s’y habitue ». Soumises à la contrainte du tribunal communautaire et pour vivre en paix, les femmes et les filles se conforment à l’ambiance générale. Des filles se font accompagner par leurs frères au cours d’alpha. Il y un autre phénomène : celui des imams des caves. Des chefs religieux autoproclamés se donnent comme mission de redonner aux jeunes en quête de repères une identité religieuse. Si certains pensent sincèrement lutter ainsi contre le chaos, beaucoup de ces prédicateurs témoignent d’une intolérance fondamentale en prêchant l’obscurantisme et le sexisme. D’où la multiplication de mosquées ayant peu de rapports avec l’humanisme musulman, avec les Lumières, avec ses traditions les plus libérales, multiplication qui se fait de manière insidieuse, anarchique et sans aucun contrôle. Les filles ne sont pas les seules victimes de cet enfermement dans des traditions archaïques. Les garçons sont aussi victimes de ce système. Pourquoi les jeunes hommes vont-ils chercher des filles dans leur pays d’origine? Parce qu’ici, la mixité a été rompue et que les garçons et les filles ne savent plus communiquer puisqu’ils ne peuvent plus se parler, se fréquenter, parler d’amour. La mixité est remise en question à l’école, dans les hôpitaux où des femmes n’acceptent plus d’être examinées par un homme, ou encore dans les piscines où l’on demande que des horaires soient réaménagés. Vous avez envie vous de vivre dans une société dans laquelle on sépare les filles et les garçons depuis le plus jeune âge, où les filles n’ont pas le droit d’aller au cours de gym ou à la piscine parce qu’elles risquent d’y côtoyer des garçons ? Où les cours de biologie sont réaménagés pour ne pas choquer telle ou telle conception religieuse ? Où l’on se refuse de parler sexualité, MST, IVG ? Où les jeunes préfèrent aller se bécoter en cachette sur les bancs publics des communes lointaines pour éviter de se faire attraper par les leurs ? Où les filles sortent de chez elles voilées mais enlèvent leur tunique dans les transports publics, loin du tribunal communautaire ? Où d’autres se font recoudre l’hymen pour faire croire à leurs familles qu’elles sont restées vierges ? Où la moindre coquetterie fait hurler au scandale, une mèche de cheveu à la saloperie, l’homosexualité à la honte ? Où la brutalité des mots et des attitudes se développe dans tous les secteurs de la société ? Vous avez envie de tout cela ? J’imagine que non. Allons-nous continuer à dire que tout cela n’est pas grave ? Que nous pouvons réaménager ? Ici comme ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets. La régression, est comme le nuage de Tchernobyl : elle ne s’arrête pas aux frontières. Elle monte de partout, et nous voyons déjà d’autres quartiers mangés par un évangélisme tout aussi sectaire, pudibond et discriminateur. De sorte que si nous voulons assurer cette cohésion dont je parlais au début de mon exposé, nous ne devons pas choisir des solutions fractionnées comme un plombier qui se contenterait de réparer les fuites sans regarder l’état des tuyaux. On ne peut pas lutter séparément contre les violences faites aux femmes, contre la montée de obscurantisme, de l’intégrisme, de islamophobie, du sexisme, de la misogynie, de l’homophobie, du racisme, contre l’exclusion, la discrimination, les fascismes de tout bord sans proposer un projet global de société reliant les effets à leurs causes. Un projet cohérent pour la cohésion sociale. C’est parce que nous sommes révoltés par tout cela, que nous ne voulons plus considérer ces dérives comme une fatalité. C’est pour cela que nous avons décidé de rejoindre Ni Putes Ni Soumises et de nous mobiliser autour d’un véritable projet de société, de « vivre ensemble » qui a pour devise laïcité, mixité, égalité. Laïcité ? Nous prônons une séparation entre les religions et l’Etat. La laïcité renvoie tout ce qui est religieux à la sphère privée tout en permettant à chacun de croire ou de ne pas croire. C’est aussi la laïcité politique, institutionnelle qui ne confond pas la neutralité de l’Etat avec la neutralisation, la passivité. La laïcité, ce n’est pas l’envahissement de l’Etat par des groupes religieux au nom d’un certain pluralisme ou l’acceptation passive de traitements différenciés des citoyens. Dans ce contexte la laïcité ne constitue plus seulement un vecteur de régulation entre le religieux et le politique mais un espace social d’interactions entre groupes, entre femmes et hommes dans lequel tente de se recomposer un pacte laïque au plan social. Cette condition-là est nécessaire à toute transformation sociale. L’égalité. Celle-ci signifie : mêmes droits et mêmes devoirs pour tous les citoyens. Nous ne voulons pas que le droit à la différence soit confondu avec la différence des droits. On ne peut pas justifier certaines pratiques institutionnelles différentes, au nom d’une idéologie, au nom d’une religion, au nom d’une « tradition ». Alors : égalité entre tous les citoyens sans exclusive, quels que soient leur appartenance, leur sexe, leur origine, leur choix sexuel, leur conviction religieuse et philosophique. Et la mixité ? Nous l’entendons à la fois par mixité sociale, mixité culturelle, mixité de genre. Cette triple mixité rapproche les hommes et les femmes, les filles et les garçons. Elle est celle qui se partage entre tous les groupes humains, pour que chaque individu qui les compose soit, d’abord, reconnu comme citoyen, libre de ses choix, sans refus des identités multiples. Défendre la mixité revient donc à défendre et à réaffirmer la laïcité comme vecteur d’émancipation. La mixité sociale, culturelle et de genre est garante du Vivre Ensemble – Vivre Ensemble que veulent détruire les extrémistes de toutes étiologies. En conséquence pas d’égalité sans mixité et sans laïcité, tel était l’enjeu et l’objectif de l’appel pour « un nouveau combat féministe » initié par le mouvement Ni Putes Ni Soumises en mars 2003 et soutenu par plus de 100 organisations et associations de terrain, ainsi que par des milliers de femmes et d’hommes à travers toute la France. Laïcité, mixité, égalité. J’ajouterai la liberté. On ne peut enlever aux gens la liberté de penser, la liberté de choisir en adultes, la liberté de se déterminer sans autre imposition que la loi commune, celle qui régit tous les citoyens. Or, beaucoup ne les ont plus, ces libertés ; ils-elles, sont muselés, culpabilisés, montrés du doigt s’ils sortent du « droit chemin » ou plongés dans un bain idéologique fait d’amalgames et de rejets unilatéraux. Pis encore : d’autres leurs disent ce qu’ils doivent penser ou ne pas penser, dire ou ne pas dire, croire ou ne pas croire. C’est pour cela que nous devons mettre l’accent sur l’éducation et la sensibilisation, en libérant la parole. Et pour ce faire, Ni Putes Ni Soumises vous propose un projet éducatif articulé autour du respect. Respect mutuel. Respect de l’autre et respect de moi-même, en interaction. Pour participer à tisser ce lien, cette cohésion sociale, nous travaillons à la version belge du Guide du Respect, actuellement édité par nos amis Français. Ce petit livre est rédigé par des militants de Ni Putes Ni Soumises, des avocats, des psychologues, des enseignants, des assistants sociaux. Elaboré à partir de témoignages recueillis auprès de jeunes filles et de garçons, il est divisé en trois parties : sexualité, traditions, violences. Il déconstruit les idées reçues, donne des réponses pratiques, concrètes, juridiques, et oriente vers les associations qui peuvent assurer une prise en charge. Nous allons en adapter la partie juridique et les adresses utiles sur le terrain belge. Ensuite, nous allons mettre ce guide à disposition de toutes les structures associatives et éducatives. Mesdames et Messieurs, il est nécessaire d’effacer les frontières qui séparent les deux sexes pour instaurer le respect mutuel. Les murs érigés par les traditions et les préjugés creusent les fossés entre les hommes et les femmes et entretiennent l’inégalité entre eux. Cette séparation est nourrie par des idées intégristes, des idées totalitaires, des idées fascistes, qui menacent nos droits, instrumentalisent nos différences et notre diversité pour instaurer une stratégie de conflit. Ces murs-là ne tomberont pas si l’on adopte une stratégie démissionnaire du type « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, et ne parlons pas de ce qui fâche. » Car ce qui détruit le lien social, ce ne sont pas seulement les destructeurs, mais aussi les passifs et les relativistes. En effet, tout nous démontre que ce sont les murs érigés entre les populations, entre les femmes et les hommes qu’il faut démonter activement. La seule limite commune à cet échange, c’est le contrat social que nous partageons. Tel un garde-fou, il nous protège mutuellement, chacune et chacun, des dérives et des oppressions. C’est pourquoi, à travers nos pôles d’intervention, à travers nos antennes de terrain, nous voulons rendre la parole à celles et à ceux que la peur empêche de s’exprimer. Nous voulons alerter l’opinion et les pouvoirs publics pour briser l’omerta … pour que plus personne ne puisse dire demain : « on ne savait pas ! »