Parlement francophone bruxellois
Interpellation de Fatoumata Sidibé, députée DéFI, à Mme Céline Fremault, ministre en charge de l’Action sociale et de la Famille – 4 mai 2018. La réponse est disponible ici.
Concerne : la prévention, la prise en charge et l’hébergement des victimes en situation de mariages forcés. Je reviens vers vous avec un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui a déjà fait l’objet de nombreuses interpellations.
Au mois de mars, le Parlement francophone bruxellois a organisé un Jeudi de l’hémicycle sur le thème des mariages forcés et des violences liées à l’honneur. À cette occasion, plusieurs associations, experts et membres de la police ont pris la parole pour exposer en détail les difficultés auxquelles ils sont confrontés au quotidien. J’ai déjà eu l’occasion de relayer certaines d’entre elles.
J’aimerais faire le point avec vous sur cette question. Je connais votre engagement en la matière, mais au vu des remarques du secteur, j’aimerais que vous m’indiquiez les moyens que vous envisagez de mettre en place pour renforcer la prévention et la prise en charge des victimes. Les chiffres sont là : depuis que la plage horaire du Réseau mariage et migration a été élargie, le nombre d’appels a doublé entre 2016 et 2017, pour atteindre environ 60.000. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Lors de cette matinée, la coordinatrice de la Plate-forme liégeoise contre les mariages forcés et les violences liées à l’honneur a indiqué que depuis 2012, 130 personnes, la plupart mineures, auraient été accompagnées. Cette plate-forme travaille évidemment dans un cadre bien spécifique, avec des victimes, souvent jeunes, de violences physiques, psychologiques, économiques et sexuelles.
Nous connaissons les chiffres communiqués par l’inspectrice principale de la section famille et jeunesse de la zone de police Bruxelles-Nord. Entre 2010 et fin 2013, les services de police ont enregistré 56 cas, dont neuf à Mons, cinq à dix à Gand et un peu moins de dix en Région bruxelloise. Beaucoup de victimes sont des mineures en danger.
Parmi les points mis en exergue figure la question de la formation des professionnels du secteur. De nombreuses avancées ont bien sûr été réalisées en la matière mais il reste beaucoup de travail à faire pour familiariser les professionnels des différents secteurs avec la prévention, la détection, les besoins des victimes et la victimisation secondaire.
Les différents intervenants issus des secteurs de la médecine, de la petite enfance et de l’assistance sociale ont fait part de l’insuffisance de leur formation dans ce domaine. Pourtant, ils sont confrontés à des situations où des mariages forcés pourraient être détectés. Ce manque de formation peut mener à une prise en charge inadéquate et les victimes de mariages forcés se retrouver livrées à elles-mêmes.
Soulignons que la plupart des mariages forcés surviennent à la fin des études secondaires, lorsque les jeunes filles ont entre 13 et 18 ans. Il y a une dizaine d’années déjà, le monde de l’enseignement faisait état de disparitions de jeunes filles, victimes de mariages forcés, d’absences et de situations difficiles au niveau psychologique. Il est donc important de sensibiliser aussi le monde de l’enseignement. Souvent, le temps des vacances sert à programmer de pareils mariages. Il est donc urgent d’agir.
En ce qui concerne les différences violences évoquées, une certaine méconnaissance mais aussi le relativisme culturel poussent quelques intervenants à évoquer la culture, la tradition et la religion pour s’abstenir d’agir. Les formations sont donc vraiment importantes à cet égard.
Il est vrai que le Réseau mariage et migration effectue un travail extraordinaire en dispensant des formations.
Mais, selon ses propres dires, cette initiative est loin d’être suffisante. Selon lui, il faudrait former correctement l’ensemble des acteurs confrontés à cette problématique.
La question de l’hébergement spécifique est un autre point important qui a été souligné. Les victimes sont confrontées à un moment ou à un autre à cette question de l’hébergement, et en particulier à la pénurie d’hébergements. Bien souvent, les structures existantes sont prioritairement destinées à un public de femmes victimes de violences intrafamiliales.
La pénurie est réelle, bien sûr, mais souvent, les conditions d’accès sont également difficiles. De nombreuses négociations sont organisées à Bruxelles ou en Wallonie – où les victimes sont régulièrement envoyées -, ce qui accroît le stress que les victimes et le monde associatif ont déjà du mal à gérer.
En outre, les maisons d’accueil ne sont pas toujours adaptées à un public de jeunes filles qui ne se reconnaissent pas dans ces lieux, sur le plan des horaires ou de la discipline. Il est donc important qu’elles puissent être accompagnées à un moment de leur vie où elles se trouvent dans des situations de rupture familiale très dures à vivre.
La nécessité de déposer plainte pour accéder aux hébergements est une autre question abordée. Cette condition, parfois sine qua non, est très contraignante pour des victimes qui sont déjà traumatisées psychologiquement et qui n’ont pas forcément envie de porter plainte contre leur famille. Ce qu’elles veulent, c’est que la violence s’arrête. Elles ont également peur des représailles. Le procès-verbal parfois exigé est vraiment une contrainte très forte. Souvent, il est indispensable, notamment dans le cas des mineurs, pour que les associations interviennent de manière appropriée.
Le secteur demande un hébergement spécifique pour ces victimes. En 2010, j’avais déposé une proposition de résolution en la matière, qui avait été jugée prématurée. Il avait été demandé de laisser le plan mis en place se poursuivre, d’effectuer une évaluation et d’attendre que le secteur prenne position sur le sujet. Il l’a désormais fait sans ambiguïté.
Vous connaissez toutes ces difficultés. Bien sûr, la Région a signé la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Cet instrument juridiquement contraignant est doté d’un mécanisme de suivi, mais également de protection et de poursuite des auteurs. Le gouvernement n’a pas attendu la ratification de cette convention pour avancer. La lecture des différents plans d’action national et intrafrancophone indique bien que de nombreux aspects ont déjà été mis en conformité. Il reste néanmoins du chemin à parcourir. Ce texte demande aux États membres de prendre des mesures efficaces contre ces formes de violence.
Prochainement, la Belgique sera amenée à rédiger un rapport sur la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul. Le milieu associatif a mis en évidence certains points, notamment la question des mineurs qui n’est pas de votre compétence mais est assez sensible.
La question de la non-reconnaissance des mariages forcés dans le cadre des demandes d’asile est également un élément important : parfois, les maisons d’accueil sont confrontées à des femmes sans papiers demandant l’asile, n’osant pas porter plainte de peur d’être dénoncées ou arrêtées et ne bénéficiant pas toujours d’un accès à des refuges, faute d’argent. Il arrive toutefois que le monde associatif prenne en charge ces victimes malgré les coûts d’hébergement.
De nombreuses avancées ont été obtenues, mais la politique en la matière doit être davantage concertée pour pouvoir mieux tenir compte des réalités du terrain.
Mme la ministre, je connais votre engagement en la matière. Compte tenu des remarques du secteur, je voudrais connaître les moyens que vous comptez déployer pour renforcer la prévention, ainsi que la prise en charge et l’accompagnement des victimes.
Pourriez-vous également me dresser un inventaire des actions entreprises afin de satisfaire aux exigences de la Convention d’Istanbul, dans les limites de vos compétences ?
La question de l’hébergement reste cruciale. Malgré des moyens que nous savons limités, une autre maison d’accueil a vu le jour et les choses paraissent donc progresser. Néanmoins, je voudrais savoir si, à moyen et long terme, la possibilité de créer de nouvelles places d’accueil spécifiques pour les victimes de mariages forcés existe. Est-ce envisageable et est-ce sur la table des discussions ?
Enfin, des pistes sont-elles envisagées pour améliorer la qualité, l’offre et la régularité des formations déjà dispensées aux acteurs de terrain ?