Parlement francophone
Proposition de résolution concernant la « ségrégation ciblée à l’encontre des métis issus de la colonisation belge et ses conséquences dramatiques, en ce compris les adoptions forcées ». – 17 mars 2017.
Télécharger la proposition, le rapport de la commission et le compte-rendu de la plénière.
Madame la présidente,
chers collègues, chers amis, je salue ce beau travail démocratique qui a été accompli ici, majorité et opposition rassemblées. Cette proposition de résolution est à la fois un grand et un petit pas.
Le 20 octobre 2016, nous avons eu une rencontre au Parlement initiée par l’Association des métis de Belgique.
Cette rencontre nous a permis de mettre des mots sur des maux et a donné corps et visages à ces
témoignages et à ces souffrances. L’ensemble des forces démocratiques est arrivé à la conclusion qu’il
fallait poser un acte fort. C’est ensemble que nous faisons ici ce travail de mémoire coloniale d’autant plus
important à l’heure où la Belgique est de plus en plus appelée à faire face à son passé colonial.La colonisation belge a entraîné des drames humains aux lourdes conséquences. Un proverbe africain dit :
« Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». L’histoire nous rattrape toujours. Pendant très
longtemps, l’expression « Cachez ce métis que je ne saurais voir » a régné en maître. Sous le voile du silence,
se cachent les discriminations dont furent victimes les métis nés de l’union entre des hommes blancs et des
femmes noires lors de la colonisation belge.
Oui, aborder la question métisse, c’est lever un coin de voile noir sur un pan sombre de l’histoire de la
colonisation belge et sur sa mission soi-disant civilisatrice, avec son cortège d’exactions, de ségrégations, de discriminations, de souffrances, de blessures, de propagande raciste, d’exploitation des richesses, de violences, de traitements inhumains et dégradants et de crimes. Derrière ces métis se cachent des drames humains, des
familles déchirées, parfois de génération après génération. C’est l’histoire d’hommes et de femmes sans
statut, des sujets belges spoliés de leurs droits, de leur patrie, de leur identité, de leur nationalité, de leur
citoyenneté et de leur dignité.
C’est l’histoire d’amours interdites, qui transgressent la loi coloniale. L’histoire de violences faites aux femmes et
aux enfants. L’histoire d’enfants métis, ni blancs, ni noirs, nommés mulâtres, considérés alors comme inférieurs
aux blancs et supérieurs aux noirs. Il fallait blanchir leur âme. Il fallait les couper de leurs racines africaines et les
placer en dehors de l’influence des blancs. Car ils représentaient une menace pour les intérêts de la
métropole et risquaient de constituer une révolte. Il fallait neutraliser l’ennemi de l’intérieur. En tout cas, il fallait en
faire un allié facilement intégrable dans la société belge, car ils étaient destinés à des emplois subalternes.
Oui, les métis représentaient un problème. Il fallait trouver des solutions. Et des décrets furent adoptés, au
nom de la dignité blanche. Des enfants supposés abandonnés, délaissés, orphelins ou trouvés furent
enlevés, arrachés, kidnappés, volés à leur mère, leur village, déplacés et placés dans des orphelinats ou des
pensionnats. Durant des années, ils vécurent entre eux, dans un no man’s land, avec le sentiment douloureux
que leurs parents les avaient abandonnés.
À la veille de l’indépendance, de nombreux enfants furent envoyés par l’État belge en Belgique. On a fait signer à
ces femmes pauvres et illettrées des documents leur laissant croire que leurs enfants iraient étudier en Europe,
dans de bonnes conditions et en vue de décrocher un bon diplôme, et qu’ils reviendraient au pays. Mais dès
leur arrivée – parfois dès l’aéroport – ces enfants ont été cédés à des familles, ou mis sous tutelle dans des
familles d’accueil.
Une famille africaine a témoigné que dans les années 60, dans certains villages ou lieux, on rencontrait des enfants
métis aux yeux hagards qui demandaient où et qui était leur mère, si on connaissait leur village. La réponse était
hélas non. J’imagine la souffrance de ces enfants. À certains, on a fait croire que leur mère était morte ou
qu’elle ne voulait plus d’eux.
Ce furent des enlèvements forcés. Déchirures, séparations, tout était fait pour couper le lien avec la
famille maternelle : les courriers étaient interceptés dans les deux sens, les noms travestis afin de brouiller les
pistes et de mieux les perdre dans une identité sans nom. Et cette douleur va se transmettre de génération en
génération.
Mais l’histoire nous rattrape toujours, et la soif de reconnaissance et de justice a été transmise par ces
métis à leurs descendants. On a voulu les oublier, ils veulent écrire leur histoire, qui est aussi la nôtre, celle de
la Belgique. Car comme le dit un proverbe africain, « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les
histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur ».
En diffusant des études, des publications, des films et des documentaires, l’asbl Métis de Belgique a réalisé le
travail de lobbying qu’il fallait pour faire bouger les lignes aux niveaux politique et parlementaire.
Nous sommes face à des victimes d’hier, mais surtout, aujourd’hui, face à des adultes debout et dignes. Ils ont
faim de justice, de leurs racines africaines, de dignité et de réparation. Les métis ont faim de citoyenneté.
Je pense à ces enfants métis qui, à la suite de l’indépendance du Congo, se sont vu retirer la nationalité
belge. Je pense à celles et ceux qui n’ont pu se rendre de manière régulière dans leur pays d’origine ou qui se
sont retrouvés sans papiers.
Je pense à celles et ceux qui attendent toujours, à celles et ceux qui cherchent toujours. Je pense à celles et ceux
qui n’ont pas opté à temps pour la nationalité belge, à celles et ceux qui sont sans papiers et « sang papiers ».
Je pense encore à toutes ces mères africaines qui sont toujours à la recherche de leurs enfants métis, ces mères
qui ont été abandonnées par le père, car l’union officielle n’était pas acceptée. Je pense à tous ceux et celles qui
sont morts sans savoir.
Cette proposition de résolution est un petit et un grand pas. Elle demande que des mesures soient prises pour
régler la question de l’accès aux archives, des actes juridiques liés aux naissances et mariages, de la
possession de la nationalité belge, du soutien psychologique.
À la reconnaissance, il faut associer le pardon et la réparation. Parler de la question des métis, c’est regarder
en face, assumer nos responsabilités. C’est un devoir de mémoire, un devoir de vérité, un devoir de dignité. La
Belgique doit se soumettre au devoir d’histoire et de mémoire en restituant les vérités historiques de l’époque
coloniale. Cela passe par un travail scientifique et objectif qui doit établir les faits et les responsabilités des
institutions belges dans la colonisation au Congo, au Rwanda et au Burundi. Car la colonisation a été
accompagnée d’une propagande raciste dont nous percevons les effets encore aujourd’hui. Ce travail doit
également mettre en avant la contribution de la colonisation à la richesse de la Belgique.
Il faut reconnaître, connaître et faire connaître. Cela passe aussi par l’enseignement dans les écoles de
l’histoire de la colonisation et de l’immigration, par la désignation et la promotion de lieux de mémoire, par la
lutte acharnée contre les stéréotypes qui rappellent la période coloniale et, avant elle, l’esclavage.
C’est un devoir de mémoire pour le passé, le présent et le futur, pour les jeunes générations, pour ne pas oublier,
pour comprendre le présent et faire société ensemble.
En effet, le racisme est loin d’être mort. Il existe encore un racisme contre les noirs, normalisé et à ce point
banalisé qu’il en devient invisible et n’indigne plus. Je fais référence à l’afrophobie et à la négrophobie, et je
rappelle à ce titre les propos d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Le racisme d’aujourd’hui a une histoire particulière, découle d’un cheminement particulier et doit être
combattu à l’aide d’un traitement particulier. Aujourd’hui encore, nos enfants et petits-enfants se font traiter de
« mulâtres », de « bamboulas », de « cacas », de « sales nègres ».
Il est effectivement temps de prendre en considération cette progression des actes racistes et des
discriminations faits à leur encontre. Aujourd’hui, une parole collective et positive se fait entendre et nous
devons nous en féliciter, car elle nous permettra de construire ensemble cette Belgique qui nous est chère.
Avec cette résolution, nous espérons que les sanglots longs des sangs mêlés se calmeront et que la plupart
d’entre eux pourront combler le trou béant laissé par leurs racines arrachées, panser leurs blessures, retracer
leur filiation, retrouver un frère, une sœur ou une mère.
En effet, le temps presse et la quête des origines a marqué de nombreuses vies, en ce compris celles des
deuxième et troisième générations, pour lesquelles il s’agit d’une question existentielle.