PRB
Interpellation de Fatoumata Sidibé, députée FDF, à Bruno De Lille secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique, de l’Egalité des chances concernant « la demande d’interdiction généralisée du port du voile pour les fonctionnaires bruxelloises demandée par l’ACV » – 4 novembre 2013. Les débats sont disponibles ici pages 18 à 23.
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
On voit que l’absence de règles précises et donc de courage politique sèment la confusion et nous venons d’assister au débat classique entre des relativistes compassionnels de gauche et la droite extrême.
Retour en arrière : L’ACV (pendant flamand le la CSC) veut interdire le port du voile aux fonctionnaires bruxelloises. L’objectif étant de rappeler au personnel la nécessité de respecter le principe de neutralité et d’impartialité.
Ce principe de neutralité serait déjà en vigueur au sein de la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), du port et d’Actiris. Il y est interdit, pour les personnes qui travaillent aux guichets, de montrer leur préférence religieuse. L’ACV demande « surtout de la clarté, une politique conséquente afin d’éviter les discussions. »
Il est, en effet, plus que temps de légiférer puisque « seul le législateur peut limiter la liberté religieuse. Il est, en effet, plus que temps de légiférer puisque « seul le législateur peut limiter la liberté religieuse. Tant qu’il n’interviendra pas, nous irons au devant de recours et décisions hétéroclites ». L’insécurité juridique fait bien entendu, le bonheur des multiculturalistes qui ne souhaitent pas qu’on légifère… ». Cette insécurité juridique ouvre aussi un boulevard à l’extrême droite.
Dans la fonction publique, c’est effectivement le principe de neutralité qui prévaut. C’est la seule garantie pour que chacun soit traité à égalité par la puissance publique et garde confiance dans l’impartialité de son administration.
En 2009, les FDF ont, avec le MR, déposé dans toutes les assemblées des propositions législatives afin d’interdire le port de signes convictionnels à l’école, dans la fonction publique fédérale, régionale, communale et intercommunale. Sans surprise, hélas, les textes ont été rejetés dans toutes les assemblées.
Aujourd’hui, au fil des initiatives communales, il semble que l’esprit de ces textes commence à faire son chemin dans certaines formations politiques puisque la majorité communale de Berchem-Sainte-Agathe décidait d’interdire, il y a quelques mois, le port de signes convictionnels au personnel communal en adoptant un règlement de travail.
L’interdiction des signes convictionnels à tous les agents et préposés de l’autorité publique (sans distinction d’agents de première ligne ou de l’ombre) reste la seule manière de garantir la stricte impartialité de l’ensemble de l’institution publique.
Ce débat est fondamental pour le vivre ensemble. « Que des groupes culturels, religieux, ethniques s’affirment dans la société est tout à fait légitime ; en revanche, qu’ils tentent d’obtenir des représentations en tant que tels dans les services publics et de l’Etat ne l’est pas. » ? La sphère publique ne doit pas se plier aux exigences des uns et des autres en mettant à mal le vivre ensemble et l’égalité qui est le principe fondateur de notre modèle.
Monsieur le Secrétaire d’Etat à la Région, vous êtes partisan de l’interdiction d’interdire.
Vous vous êtes, à maintes reprises, exprimé là-dessus publiquement.
Pour vous, il n’est pas question d’une interdiction du port des signes convictionnels aux guichets.
Vous vous dites en faveur d’une interprétation « ouverte » de la notion de neutralité.
Permettez-moi de vous dire que dans ce cas, la neutralité de l’Etat est fermée : elle se confond avec la neutralisation de l’Etat dans la mesure où ce sont les religions qui imposent leurs lois.
C’est typique de l’ultralibéralisme. Le laisser-faire laisser-aller comme principe, la liberté du renard dans le poulailler comme valeur, la loi du plus vociférant et du chacun pour soi comme résultat.
C’est la loi de minorités fondamentalistes qui instrumentalisent la religion à des fins politiques, de minorités activistes qui veulent mélanger le droit et la foi.
Le législateur doit tenir ferme, comme le disait le grand Victor Hugo, sur ce principe politique essentiel : « L’Eglise chez elle, l’Etat chez lui ».
Si le législateur cède, s’il tergiverse, nous irons au devant de recours et décisions hétéroclites. Une insécurité juridique qui fera le bonheur de ceux qui ne souhaitent pas qu’on légifère, de sorte qu’ils pourront aller de recours en recours arguant que tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé. Et cette incohérence profitera à l’extrême-droite qui s’en nourrit !
Il est temps que le monde politique prenne enfin ses responsabilités et arrête de faire l’autruche. L’absence de courage politique sert à intégrer la peur ambiante et à enterrer tout projet de défense de la laïcité.
En tant qu’élue du peuple d’abord, de femme de culture musulmane ensuite, de ces femmes qui luttent pour l’émancipation, l’égalité et la mixité, je m’inscris dans cette vision d’une société universaliste héritée des Lumières, et non d’une société différencialiste.
En effet, si je suis pour le droit à la différence, je lutte contre la différence des droits et des devoirs !
Je suis pour la liberté, pas pour défendre l’obscurantisme et la régression.
Je suis pour l’égalité de droits et de devoirs entre les hommes et les femmes, pas pour des ajustements en fonction d’appartenances religieuses ou philosophiques.
Je suis pour une sphère publique pour tous, et aux mains du peuple et non pas dictée par les ciels de chacun !
Je suis pour une fonction publique où les fonctionnaires représentent la collectivité et ne sont pas des panneaux d’affichage convictionnels.
Je suis pour ce qui permet de mettre en avant ce qui nous rassemble et non pas pour ce qui nous divise. La sphère publique appartient à tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses et philosophiques. En revanche, la foi est du domaine de l’intime, de la sphère privée et chacun est libre ou non d’y manifester ses convictions.
Arrêtons aussi d’opposer neutralité d’apparence et d’actes. L’apparence est un acte. L’interdiction du port des signes convictionnels parmi les fonctionnaires – TOUS les signes convictionnels – va permettre de sortir de cette attitude stérilisante, de permettre aussi plus d’égalité entre les femmes en ne distinguant pas les vertueuses et les pures, les croyantes comme ci et les croyantes comme ça, de participer à la lutte contre le sexisme, le prosélytisme, le chantage, le tribunal communautaire, de lutter contre les discriminations.
A travail public, neutralité publique ! Eviter aux services publics l’intrusion du religieux permet de sortir de la logique de l’exclusion, de la discrimination, de l’affrontement, du fractionnement pour celle de l’harmonie d’un vivre ensemble respectueux de chacun. Aucune liberté n’est absolue.
C’est de la cohésion de notre société qu’il s’agit. La frilosité collective face à ce problème me fait l’effet d’un racisme à l’envers ! Sur des questions aussi graves que le divorce, l’avortement, la contraception, le mariage pour tous, le droit à mourir dans la dignité, a-t-on cédé aux aménagements raisonnables version chrétiens intégristes ? Non ! Alors, pourquoi ne serions-nous pas clairs et fermes sur l’interdiction des signes convictionnels et donc du voile dans les services publics ?
L’Etat n’a pas à céder aux caprices identitaires. Il a vocation émancipatrice !
Monsieur le secrétaire d’Etat, j’aimerais vous entendre non pas sur votre avis personnel mais en tant que secrétaire d’Etat… comme représentant de cette fraction de la gauche qui renie aujourd’hui les idéaux laïques qu’elle a tant défendus jadis, quand elle luttait avec courage contre l’emprise cléricalo-politique.