Parlement de la Région Bruxelles-Capitale
Concerne: Les propositions législatives du MR en vue d’interdire le port de signes convictionnels dans la fonction publique régionale, communale et intercommunale. Séance plénière du 20 mai 2011.
L’intervention est disponible ici
Les textes déposés au Parlement bruxellois le 9 octobre 2009 ont enfin discutés en commission des affaires générales du Parlement bruxellois et portés en débat en plénière. Sans surprise, ces propositions ont été rejetées à une large majorité ! Vous trouverez mon intervention ci-dessous.
Nous sommes d’accord ! La question des signes convictionnels n’est pas la plus importante parmi toutes celles qui conditionnent le vivre ensemble. Il me paraît plus urgent de s’attaquer aux discriminations multiples auxquelles sont confrontées certaines composantes de la population en matière d’emploi, de logement, de formation ou de pauvreté. Il est également plus urgent de résoudre les problèmes socioéconomiques que ces citoyens doivent affronter. Ils sont nombreux à ne plus croire à une société qui leur refuse toute chance d’insertion durable et digne. Il faut relever ce défi, car les politiques mises en place n’y suffisent pas.
Au-delà des réponses socio-économiques attendues par le citoyen, le choix de la société dans laquelle nous voulons vivre ensemble est tout aussi essentiel et fondamental. La diversité est un atout.
Je suis femme, noire, africaine, de culture musulmane teintée d’animisme et j’ai été élevée
chez des catholiques ! Je suis fière de ces identités multiples. La diversité est une richesse qu’il faut cultiver. Comment relever les défis du vivre ensemble dans une société caractérisée par un pluralisme ethnique, culturel, religieux et philosophique, mais traversée par des tensions, des incompréhensions, des préjugés, des replis identitaires, la méconnaissance et la peur de l’autre ?
Depuis quelques années, les particularismes religieux ou supposés tels s’affirment de plus en plus dans notre société. Cette situation suscite de nouveaux questionnements sur la place des religions dans la sphère publique. Pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les diverses convictions, faire en sorte que les religions n’imposent pas leur loi, garantir un espace de liberté où chacun se sente reconnu et respecté dans ses convictions, l’État a le devoir de légiférer. Il doit fixer les mêmes règles pour toutes et tous sans exception et permettre à chacun de partager un espace commun dans le respect des droits et
devoirs fondamentaux qui sous-tendent notre démocratie. S’il y a bien un principe fondamental, c’est celui de la liberté d’expression, qui comprend celle d’exprimer ses convictions religieuses ou philosophiques. Il s’agit d’un droit fondamental consacré par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
C’est à la lumière de ceux-ci et de l’obligation de neutralité des pouvoirs publics que le Conseil d’État a examiné et rendu ses avis sur les propositions déposées par le groupe MR.
Faut-il encore préciser que la liberté religieuse est bien respectée dans notre pays. Dans l’immense majorité des cas, chacun d’entre nous peut manifester ses convictions religieuses et philosophiques sans restriction dans l’espace privé et public. Il est cependant vrai que dans le monde du travail, l’école et la fonction publique, il y a des tensions et des points de crispation.
À ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de tensions, je les renvoie aux récentes manifestations, recours, procès et autres contestations cristallisées autour de ce sujet. Ce ne serait pas honnête de dire que c’est parce que l’on parle du sujet que l’on alimente le débat. D’un autre côté, il n’est plus possible de nier la clameur des gens de terrain qui vivent des situations qui ne sont plus sereines. Ce climat n’est pas viable à long terme. Nous le savons, vous le
savez, il faut légiférer, car seule la loi peut limiter la liberté d’expression.
Faut-il accepter, dans la fonction publique, le port des signes convictionnels au nom de la tolérance, du multiculturalisme et de la liberté d’expression ?
Faut-il plutôt en limiter l’usage au nom de neutralité, la laïcité, de l’égalité des sexes, de
l’interculturalisme ? C’est donc à un exercice délicat que nous nous
sommes livrés. Nous avons eu ce courage d’aborder un débat de fond, complexe, délicat,
sensible. Nous sommes conscients de ce que parmi ceux qui s’opposent aux signes convictionnels, tous ne le font pas pour des raisons démocratiques.
Débat difficile où il faut trouver un juste équilibre entre respect des diversités et volonté de construire une société qui s’unit sur un socle commun plutôt
que de se fractionner dans des particularismes. À ceux qui disent que c’est de l’hypocrisie et que ce qui est visé, c’est le voile, je réponds qu’il serait discriminant et contraire à la Constitution de ne viser qu’un seul signe convictionnel, en l’occurrence ici le voile. Ce serait stigmatiser une seule religion. Force est de constater que si depuis de nombreuses années, le voile pose question, qu’avons-nous comme garantie que demain, d’autres mouvements religieux ne vont pas se déployer de manière plus visible et plus revendicatrice.
N’oublions pas que l’Église catholique, qui a perdu bien des batailles, semble renaître de ses cendres, tel un phénix. Elle tend à réinstaurer l’ordre moral chrétien par des mesures répressives et liberticides qui ont été combattues par les mouvements féministes et les défenseurs des droits fondamentaux. Que le voile soit porté par attachement culturel,
conviction religieuse ou choix personnel, il reste une réminiscence d’une culture patriarcale propre à toutes les religions. Il est une chaîne liée à un système machiste qui impose des restrictions aux seules femmes, alors que les hommes peuvent se vêtir comme ils le souhaitent. La modernité ne les dérange pas. Aucun instrument d’oppression n’est tolérable, ni envers les femmes, ni envers les hommes. Mais si le voile est un symbole de soumission aux traditions patriarcales et d’oppression pour certaines, cela ne signifie pas que celles qui le portent sont soumises et que celles qui ont les cheveux au vent sont toutes libres et émancipées. Les voies de l’émancipation sont multiples et certaines femmes ont sans doute librement choisi de porter le voile. Ce n’est pas le cas pour toutes, car les pressions existent. Pour certaines, le droit à la différence est devenu un devoir d’appartenance qu’il faut accomplir. Faut-il les abandonner ? Je ne le pense pas.
Même si l’argument de l’égalité entre les sexes est important, au nom de quoi pourrions-nous
l’avancer pour interdire la croix, le poignard sikh, le flambeau laïc ou le tee-shirt à l’effigie d’une idéologie quelconque ? Je ne me focaliserai donc pas sur l’argument de l’émancipation. Autoriser le voile aux employées du service public en arguant
que l’accès à l’emploi leur permettra de s’émanciper ou le leur interdire au nom de l’émancipation nous éloigne de la question fondamentale, celle du service public.
Légiférer au nom de quoi ? Depuis quelques années, le Conseil d’État, souvent saisi de la
question, renvoie le même message : c’est au législateur d’agir, car l’insécurité juridique actuelle n’est pas gérable. En l’absence d’une législation claire, les tribunaux appliqueront le principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis.
Le Conseil d’État confirme que le principe de la neutralité du service public peut justifier
l’interdiction du port de signes convictionnels dans la mesure où les membres du personnel qui portent des signes convictionnels peuvent susciter auprès du public le sentiment qu’ils n’exercent pas leur fonction de manière impartiale. La neutralité signifie que dans l’exercice de leurs fonctions et dans le champ de leurs croyances et convictions, les agents doivent faire preuve de réserve pour que chacun se sente traité sur un pied d’égalité par la puissance publique.
Égalité, bien sûr. Mais l’agent doit aussi être loyal envers l’institution publique. La confiance du public est importante, mais il faut également garantir un traitement équitable au citoyen.
J’entends dire que la neutralité d’apparence ne constitue pas la garantie d’un service neutre. C’est cependant un pré requis fondamental. Une apparence de partialité peut susciter un doute légitime chez l’usager des services publics. Elle joue un rôle important, quelle que soit la motivation de celui ou celle qui l’affiche. L’agent ne doit pas donner à penser qu’il prend une décision influencée par ses convictions religieuses. Ce qui est demandé, tout simplement, c’est une mise entre parenthèses de ces manifestations convictionnelles ostensibles.
Nous parlons ici d’un service à la population. L’employé qui porte un voile, une croix ou une
kippa fait-il moins bien son travail ? Bien sûr que non. Peu importe à l’usager d’un service public que l’agent soit athée, agnostique, musulman, bouddhiste, juif, animiste ou chrétien : c’est une affaire privée. Il veut cependant en face de lui un citoyen ou une citoyenne qui n’affiche pas ostensiblement de quelle croyance, idéologie ou conviction il se chauffe en tout temps et en tout lieu. Interdire, mais à qui ? À tous les agents du service public ? Aux agents en contact avec le public ou à ceux qui ont une fonction d’autorité ? Laisser la possibilité de choisir aux agents qui ne sont pas en contact avec le public aurait plusieurs conséquences : cela créerait une inégalité de traitement entre agents et compliquerait la gestion du personnel. Comment peut-on être sûr qu’un agent autorisé à porter des signes convictionnels n’entre pas, à un moment ou l’autre, en contact avec le public ? Pour répondre à l’impératif de cohérence, nous avons préconisé une seule règle : l’interdiction des
signes convictionnels à tous les agents, sans distinction entre les agents de première ligne et ceux de l’ombre, afin de garantir la stricte impartialité de l’ensemble de l’institution publique.
Le Conseil d’État ne dit pas que notre proposition outrepasse la Constitution. Il demande de justifier ce que nous avons fait. L’interdiction totale est-elle disproportionnée par rapport au but poursuivi ? Dans notre société caractérisée par une pluralité de convictions philosophiques ou religieuses, il faut une cohérence normative qui légitime l’État et son
administration dans son rôle de défense de l’intérêt général, et non des intérêts particuliers. C’est aussi cela, la citoyenneté. Non pas des droits et devoirs différents sous prétexte d’appartenance culturelle, de convictions religieuses et philosophiques, mais
l’acceptation des droits et devoirs pour tous. Il ne s’agit pas de nier le droit à la différence, mais de l’articuler au « vivre ensemble ». Nous pouvons continuer à ergoter au niveau juridique et à faire des procès d’intention, mais à vrai dire, ne pas légiférer, c’est une bonne entourloupe pour se donner bonne conscience et pour donner du temps au temps.
Nous avons été jusqu’ici incapables de donner une place à ceux qui souhaitent être reconnus autrement qu’à travers le prisme religieux. Pour ne pas stigmatiser ceux qui le sont déjà tant, il serait important d’avoir la paix et de laisser faire les choses. Cependant, nous ouvrons une brèche aux obscurantistes de toute obédience.
Tout en travaillant sur les causes du repli identitaire, en luttant contre le racisme, les
discriminations, le chômage, la dégradation des quartiers et en préservant les richesses culturelles, qui deviendront la richesse de demain, nous devons clairement faire un choix de société : le choix de la citoyenneté et non du communautarisme.
Ce débat est loin d’être clos. Le groupe MR a pris ses responsabilités. Nous avons proposé un débat démocratique, que nous avons voulu serein. Nous avons laissé le temps à la majorité, nous avons voulu la concertation, nous avons déposé des amendements afin d’aboutir à un cadre normatif concerté. Ce débat reste ouvert. Nous sommes convaincus de
ce que l’avenir nous donnera raison : goutte à goutte, l’eau perfore la roche.