Projet d’ordonnance visant à lutter contre les discriminations en matière d’emploi en Région de Bruxelles-Capitale

Parlement régional bruxellois
Intervention de Fatoumata Sidibé –  Projet d’ordonnance visant à lutter contre les discriminations en matière d’emploi en Région de Bruxelles-Capitale – 13 octobre 2017. 
Télécharger le projet d’ordonnance  de juillet 2017
Télécharger le rapport du
28 septembre 17
PROJET D’ORDONNANCE tendant à lutter contre certaines formes de discriminations et à promouvoir l’égalité de traitement – 7 avril 17
Projet d’ordonnance modifiant l’ordonnance du 4 septembre 2008 visant à promouvoir la diversité et à lutter contre la discrimination dans
la fonction publique régionale bruxelloise 
– 23 mai 2016

Je me réjouis profondément de ce projet d’ordonnance qui s’inscrit dans la liste des outils mis en place par la Région (lois anti-discrimination, Charte de la diversité, Plans de diversité, Label diversité, Guichet anti discrimination, …) pour lutter de manière impérieuse contre les discriminations à l’embauche pour permettre à toute personne d’accéder à un emploi correspondant à ses compétences. Certes il faut évaluer l’efficacité de ces outils mais continuer à explorer d’autres pistes.Car de nombreux citoyens sont discriminés sur la base de leur origine, leur sexe, leur âge, leur handicap, leur genre, leur orientation sexuelle, leurs croyances, etc. Au niveau européen, de nombreuses études attestent que notre pays se situe dans le peloton de tête des pays qui discriminent le plus les personnes d’origine étrangère. En outre, Bruxelles est l’une des capitales où la discrimination à l’embauche est la plus marquée.
Depuis des années, plusieurs études montrent l’ampleur du phénomène : répartition ethno stratifiée des emplois, statut des salaires… En Région bruxelloise, différentes catégories de travailleurs ou de chômeurs n’ont manifestement pas les mêmes chances statistiques d’avoir un emploi meilleur, voire même un emploi.  Selon l’origine, certaines personnes se retrouvent occupées dans des secteurs particuliers entreprises de services, intérim, horeca, soins de santé, nettoyage – tandis que d’autres rejoignent plutôt les secteurs où les salaires sont plus élevés.    La question de l’inadéquation entre l’offre et la demande est très importante, mais à qualification égale, les chances d’accès à l’emploi restent aujourd’hui encore inégales.
On ne peut pas continuer à avancer l’argument classique de l’absence de qualification eu égard à l’augmentation du nombre de diplômés universitaires tant parmi les anciennes générations, ceux qui sont nés ici et les nouveaux arrivants.
A Bruxelles, le taux d’emploi des personnes d’origine belge est de 71,0 %. Alors que celui des personnes originaires d’autres pays européens et du Proche/Moyen-Orient est en moyenne de 35 %. Et pour les personnes d’origine africaine, ce taux est de 38%. Et si le taux de chômage est de 10% pour la population bruxelloise d’origine belge… il atteint 30% pour celle d’origine maghrébine.
Oui, il est en anormal que des emplois de qualité de grade supérieur continuent à être attribués à des citoyens belges au nom à consonance belge alors que d’autres aux noms d’origine étrangère occupent des emplois subalternes ou inférieurs. Il y a aussi les discriminations à l’âge, au handicap, à l’orientation sexuelle.
Cette sous-utilisation du capital humain ne profite pas à l’économie.  Et ne participe pas à une cohésion sociale.
A maintes reprises dans le passé, j’ai vécu des situations de discriminations à l’emploi. Il m’est arrivé dans le passé d’envoyer un CV avec un nom Blanc Bleu Belge pour espérer décrocher ne serait-ce qu’un entretien. A l’époque déjà, nous étions nombreux et nombreux à procéder de la sorte. Nous ne savions pas quoi faire avec les réponses sinon pour nous rendre compte que le critère de l’origine prédominait considérablement dans les causes de difficulté d’accès à l’emploi.
Depuis que je suis dans ce parlement c’est-à-dire en 2009, je n’ai cessé d’interpeller les deux ministres précédents sur les discriminations à l’embauche.
A chaque fois, je suis revenue à la charge avec le CV anonyme, l’évaluation des plans diversités, la surveillance des réglementations en matière d’emploi, le bilan des infractions constatées dans ce cadre, les plaintes pour discrimination et guichet discriminations. Et à chaque fois, il y avait une constante dans mes questionnements : l’opportunité d’appliquer les tests de situation et le mystery shopping ou appel mystère, comme levier à activer afin de soutenir la lutte contre les discriminations sur le marché d’emploi bruxellois.
A chaque fois, nombreux sont ceux de la majorité et de l’opposition qui se sont joints pour soutenir l’opportunité d’avoir recours à cet outil. La lutte contre les discriminations est l’affaire de tous. « Seul on va plus vite. Ensemble, on va plus loin » Voilà ce que nous avons fait, majorité avec des partenaires de l’opposition. Monsieur De Lille a dit que Groen et Ecolo sont le père et la mère. Nous sommes la mère porteuse.
Il fallait des garanties juridiques sur le fait que la Région a les compétences de mettre en place des tests qui aient une valeur légale et qui soient opposables devant les tribunaux. Aucun doute sur la volonté du gouvernement qui dans son entièreté s’est engagé, dans le cadre de la déclaration de politique gouvernementale, à lutter contre toutes les formes de discriminations. C’est d’ailleurs dans ce cadre que cet engagement de lutte contre la discrimination est aujourd’hui décliné en chantiers et actions concrètes dans la Stratégie 2025, ce qui constitue un élément nouveau.
Les tests de situation sont un outil de conscientisation, de sensibilisation, de préventions, d’autorégulation car tous les employeurs ne sont pas conscients de pratiquer la discrimination. Cette ordonnance est également assortie d’un volet sanction à l’égard des employeurs.
Ces tests ne peuvent avoir un caractère provoquant ; ils ne seront pas accomplis à l’aveugle en vue de « coincer » le plus d’entreprises possibles. Ils ne seront utilisés qu’en cas de fortes présomptions de la part de l’Inspection sur un employeur ou une entreprise, si et seulement si une série d’indices préalables comme des plaintes et signalements corroborés par d’autres données établira qu’une entreprise peut être suspectée de pratiques discriminantes à l’embauche.  Les signalements seront faits auprès d’Unia, institut pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le guichet anti discrimination d’Actiris.
L’intention de notre texte n’est pas d’infliger de sanctions directes si le test est positif, les sanctions ne viennent qu’après décision de justice ou via des amendes administratives si le dossier n’est pas instruit par l’auditorat.
En ce qui concerne les labels, l’arrêté du 7/5/2009 sur les plans et labels diversité prévoit que ceux-ci peuvent être retirés si l’employeur fait l’objet d’une condamnation pour crime ou délit en tant que personne morale ou en sa qualité d’employeur.
Ce projet d’ordonnance, est réfléchi, concerté et équilibré pour ne viser que les employeurs indélicats qui organisent de manière consciente les pratiques discriminantes. Que ceux qui n’ont rien à se reprocher dorment tranquilles ! Il faudra évaluer la mesure.
Oui, le gouvernement est déterminé à lutter contre ce fléau. Le Ministre Gosuin a effectivement hérité d’un vaste et ancien chantier qui peine à montrer ses fruits. En Belgique, il n’y a pas de statistiques ethniques. Parmi les dix mesures prises par Gosuin, pour la première fois, la mise sur pied d’un monitoring adapté au contexte bruxellois afin d’objectiver, d’évaluer la participation des personnes d’origine étrangère au marché de l’emploi. Ces tests de situation sont  un outil parmi tant d’autres. Il est légitime qu’en plus des actions, déjà menées, nous nous dotions de moyens de contrôler le respect, par les employeurs publics ou privés, de la législation anti-discrimination. A ce jour, l’ordonnance relative à la lutte contre la discrimination et à l’égalité de traitement en matière d’emploi (votée en septembre 2008) n’a mené à aucune sanction : aucune condamnation n’a été faite sur cette base. 
Ce projet d’ordonnance est donc le résultat d’une véritable concertation et d’une réelle volonté politique. Et je remercie le Ministre d’avoir porté ce projet avec prudence, ouverture  mais force, conviction et rapidité. En politique, rien de sert d’avoir raison, il faut avoir raison à temps. Le temps est venu de relever ce défi.
Et demain, selon que l’on s’appelle Kadidiatou, Ibrahim, Abdoul Karim, Mohamed, Cheick Oumar, Alassane, Fatoumata (ce sont les noms de mes frères et sœurs), il faut espérer que les préjugés des employeurs ne vous rendront pas Noirs ou Blancs. Donnons la chance à chaque citoyen et citoyenne de s’insérer dignement et durablement au sein de notre société.
Il y a un proverbe malien qui dit « Yiri Koulou mè o mè djila, a te kè bamba yé » : « Le tronc d’arbre à beau séjourner dans l’eau, il ne sera jamais un caïman ». Si on de vivre et de faire société ensemble, il faut permettre au tronc d’arbre de devenir caïman.

 

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