En septembre 2017, j’ai pu faire voter une résolution relative à la discrimination à l’entrée des discothèques et lieux de sortie.
- Ma PROPOSITION DE RÉSOLUTION relative à la discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sortie (déposée par Mme Fatoumata SIDIBÉ (F), M. Julien UYTTENDAELE (F), Mmes Julie de GROOTE (F), Khadija ZAMOURI (N), Brigitte GROUWELS (N) et M. Fouad AHIDAR (N) – Juillet 2016.
- RÉSOLUTION adoptée par le Parlement Discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sortie – 19 septembre 2017
- Rapport PROPOSITION DE RÉSOLUTION relative à la discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sortie
C’est avec plaisir que nous avons accueilli ce projet d’ordonnance tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et à promouvoir l’égalité de traitement. Ce projet d’ordonnance vise à, d’une part, adapter le cadre législatif bruxellois aux directives européennes et, d’autre part, tend à répondre aux revendications du secteur luttant contre les discriminations.
Il y a un an, j’ai déposé une proposition de résolution relative à la discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sortie. Elle a été agencée en même temps que la proposition d’ordonnance. En effet la proposition de résolution demandait en son point 1, la transposition de la directive européenne 2004/113/CE du 13 décembre 2004 du Conseil mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services
La discussion générale de la proposition résolution a donc eu lieu conjointement avec la discussion générale du projet d’ordonnance
Pour commencer par le projet d’ordonnance, il vient compléter la législation anti-discrimination en matière de lutte contre les discriminations dans les biens et les services. Son champ d’application offre non seulement une protection en termes d’accès aux biens et services, mais aussi en termes d’accès et de participation à des activités économiques, sociales, culturelles ou politiques, ainsi qu’en matière de protection et avantages sociaux dans toutes les compétences régionales. Il ne s’agit pas seulement de biens et services rémunérés. Les biens et services non rémunérés sont inclus.
Avec dix-neuf critères protégés, le texte prévoit une meilleure protection face à 6 motifs de discriminations telles que la religion, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle, la discrimination directe, la discrimination indirecte, l’injonction de discriminer, le harcèlement, le harcèlement sexuel et le refus de mettre en place les aménagements raisonnables en faveur d’une personne handicapée. Est également prise en compte la protection contre les discriminations fondées sur le changement de sexe et l’identité de genre. Dans certaines situations, des actions positives temporaires seront permises.
Il est difficile d’apporter la preuve d’un acte discriminatoire. Un élément important de cette ordonnance est le renversement de la charge de la preuve. Le demandeur doit déposer des faits ou preuves qui peuvent mener à une présomption de discrimination et c’est l’inculpé qui est chargé de rejeter cette présomption. Le texte prévoit également, lors de l’introduction d’une plainte, des mesures supplémentaires pour les personnes agissant à titre de témoin, de conseiller, d’avocat ou d’assistant au profit de la personne concernée.
Le texte prévoit également qu’Unia et l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes s’engagent à promouvoir l’égalité de traitement entre les personnes. Un chapitre pénal et un chapitre civil ont été prévus étant donné que le droit européen prévoit de mettre en place des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » en cas de contravention à la législation. Grâce à la transposition de cette directive européenne, désormais, la région pénalise les discriminations dans l’accès des biens et services.
Il importe de combler les lacunes existantes, mais la secrétaire d’État n’est pas opposée à une ordonnance-cadre à portée générale luttant contre toute forme de discrimination pour la région de Bruxelles.
Je voudrais à présent aborder la proposition de résolution relative à la discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sorties.
Je voudrais remercier les députés de la majorité pour avoir accepté de porter ce projet avec moi. Remercier également Ecolo et Groen qui se sont ajoutés à la liste des cosignataires.
A Bruxelles, des discothèques, bars, restaurants, lieux de sortie refusent encore l’entrée à certains clients en raison de leur origine, leur genre, leur âge, leur orientation sexuelle, leur situation de handicap, leurs convictions religieuses ou philosophiques. Cette proposition de résolution n’est donc pas restrictive.
Dans le rapport Unia, on relève que l’année 2016 est marquée par une augmentation de 31% du nombre de dossiers dans le domaine des biens et services. 500 dossiers de discrimination ont été ouverts dans les secteurs du logement (37%), des transports (15%), des organismes financiers (12%), des commerces (10%), de l’horeca (8%), des services sociaux et de la santé (8%).
Au niveau du racisme dans les biens et services, le principal sous-domaine pour lequel Unia est sollicité concerne le refus de location d’un bien immobilier. Suivent, dans une moindre mesure, les refus d’accès à des discothèques ou des bars. En ce qui concerne les critères « raciaux », l’augmentation du nombre total de dossiers est de 6% par rapport à l’année 2015. Dans le domaine des biens et services, la hausse est de 28% pour ce critère. Il s’agit essentiellement de problèmes de refus de location de logement, d’insultes dans des commerces ou encore de refus d’accès à des discothèques, cafés.
Si dans le développement de la proposition de résolution, il est beaucoup questions de critères raciaux, c’est parce ce que la prise en compte est récente et que ce type de discrimination commence à sortir de l’invisibilité.
A Bruxelles, des discothèques, bars, restaurants, lieux de sortie refusent encore l’entrée à certains clients en raison de leur origine. Il ne s’agit pas de pratiques marginales mais d’un problème structurel par lequel certains groupes sont plus concernés que d’autres.
Les auteurs de la présente proposition de résolution entendent prendre à bras le corps la problématique de la discrimination à l’entrée des discothèques et autres lieux de sortie en Région de Bruxelles – Capitale. Nous en appelons à prendre des mesures en vue de traiter cette forme spécifique de discrimination. Bien sûr, on peut être comme on dit de souche et se faire discriminer. Mais depuis de nombreuses années, j’entends de nombreuses personnes et particulièrement les jeunes se plaindre de refus répétés à leur encontre dans certains bars, discothèques, lieux de sortie. Ce type de discrimination commence à sortir de l’invisibilité même si cela fait des années que des actions contre ce type de discrimination sont menées chez nous. Des tests de mise en situation ont permis de dénoncer la discrimination dans l’horeca, discothèques et les bars dansants.
Dans différentes villes européennes, des nuits du testing ont été et sont organisées à l’entrée des boîtes de nuit. Des testeurs volontaires de différentes origines ethniques, ont tenté d’entrer en toute légalité dans des établissements de nuit. Sans surprise, ces tests ont montré que l’accès des testeurs d’origine étrangère a régulièrement été refusé. J’ai souvent l’occasion d’entendre plusieurs jeunes d’origine étrangère qui se plaignent de ces pratiques discriminatoires récurrentes. On leur refuse l’entrée puis quelques minutes plus tard, accepté des personnes de type européen et ce souvent sans motif objectif qui puisse justifier cette différence de traitement.
« On sait quand on sort de la maison mais on ne sait pas quand et si on va nous laisser entrer dans une discothèque ». Ou encore ce jeune d’origine étrangère accompagné de deux amis de type européen qui ont pu entrer alors qu’à lui, on lui a refusé l’accès. Ils ont dû trouver un autre endroit. Cela c’est quand il y a solidarité. Sinon les autres rentrent et vous laissent dehors. Et si vous avez la mauvaise idée de venir entre vous c’est-à-dire sans mixité, vous avez peu de chances.
Il y a toujours un excuse : « ça ne va pas être possible pour vous, c’est un club privé. Ici », « Vous êtes trop nombreux « , » Il y a trop de monde à l’intérieur » « Il n’y a pas de fille qui vous accompagne « . » Vous n’êtes pas des habitués ». Mais comment voulez-vous qu’on soit des habitués si on ne les laisse jamais entrer.
Le plus pervers, c’est que pour filtrer leur clientèle, les gérants emploient aussi des portiers d’origine étrangère chargés de sélectionner la clientèle. Soit les jeunes insistent et cela peut mal se terminer par l’arrivée de la police. Et quand celle-ci arrive, il arrive qu’ils disent « vous voyez bien qu’il n’est pas raciste. La preuve c’est qu’il est étranger comme vous ! Comme si le racisme avait une couleur ».
Mais rares sont ceux qui insistent. Ils ont l’habitude. Il leur arrive de faire des kilomètres dans la soirée avant de trouver une discothèque qui les accepte. Ils veulent bien sortir mais on ne les laisse pas entrer. La confrontation régulière aux refus et exclusions est une violence.
Ils sont à la fois résignés, désespérés et humiliés. Et révoltés. A force de se faire virer de partout, ils finissent par ne plus sortir ou à passer les soirées entre eux. Déjà que la mixité sociale et culturelle est loin d’être un fait à Bruxelles, de telles pratiques contribuent au repli, au fractionnement, à porter atteinte à la cohésion sociale.
Les patrons, portiers savent que c’est de la discrimination. Alors concrètement les motifs pour interdire l’accès sont très flous. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une interdiction radicale et absolue, mais bien d’une « admission sélective ». Il s’agirait, entre autres, de restreindre le nombre de personnes de manière préventive, soit pour éviter une baisse de la fréquentation du lieu, soit par mesure de sécurité, soit pour accueillir les habitués comme il se doit étant donné qu’ils ne seraient pas en mesure de laisser entrer tout le monde. Le problème c’est que c’est souvent certains groupes ethniques qui sont recalés.
Bien que je ne sois pas une habituée des discothèques, j’ai vécu ce genre de situation, en pleine journée. En 2013, je me suis vue refuser l’accès à un restaurant, sous prétexte que je ressemblais à une jeune femme de type mulâtre qui se livrait à la grivèlerie dans le quartier. Elle mangeait et repartait sans payer sa note. C’est vrai que j’ai une tête à faire de la grivèlerie ! La patronne ne voulait rien entendre à mes arguments. J’ai eu beau répéter qu’elle se trompait de personne, montré une carte de visite, elle m’a refusé l’entrée. Il a fallu que j’appelle la presse et la police pour porter plainte. Les policiers m’ont demandé plusieurs fois si je voulais vraiment le faire, si ça en valait la peine. C’est bien la preuve que ces actes ne sont pas vraiment pris au sérieux. C’est si anodin !! Ce n’est pas une infraction prioritaire.
Certes, il ne faut pas sombrer dans les dérives. Bien sûr que les portiers peuvent faire le tri, dans la pratique, en fonction de la tenue vestimentaire, du comportement, de la consommation d’alcool et de drogues, de la taille d’un groupe, etc. Oui, Ils ont le droit de poser des actions préventives de contrôle pour maintenir le calme et l’ordre. Mais il doit être question de facteurs objectivement justifiés pour refuser l’accès, par exemple le fait qu’un client a déjà causé de graves problèmes dans le passé et la probabilité que cela se reproduise à l’avenir.
Mais hélas, les limites de la loi sont souvent dépassées et on tombe dans le délit de faciès.
Trop souvent les clients et notamment les jeunes clients se résignent à accepter cette pratique discriminatoire. Les plaintes sont rares car non seulement peu de victimes connaissent leurs droits mais en plus, rares sont celles qui osent faire une déclaration. Comment fournir la preuve qu’on est discriminé ? L’intervention de la police sur les lieux du délit ainsi que le dépôt de la plainte est importante. Cependant, bon nombre de gens m’ont rapporté que quand ils appellent la police, elle rechigne à acter des faits si anodins en apparence. Ceci pose la question de la formation et de la sensibilisation spécifique des policiers, des exploitants et des portiers. Et puis, le risque de condamnation est très faible comme le signale Unia. Et quand il y a condamnation, c’est généralement à l’égard des portiers. Il y a une responsabilité dans le chef des exploitants des établissements car ils formulent aussi des discriminatoires ou ferment les yeux sur les pratiques d’admission sélective.
Avec la proposition d’ordonnance votée, il y a un élément important : le principe du renversement de la charge de la preuve. Désormais, ce ne sera plus la victime qui devra prouver la discrimination ; ce seront les propriétaires des boîtes de nuit, des bars, etc. qui devront démontrer l’absence de discrimination.
De manière générale et dans le contexte des attentats que nous connaissons, Unia signale une hausse des signalements auprès d’UNIA pour l’année 2016 de 20%. Il s’agit de signalements haineux contre le racisme, contre la philosophie, contre les personnes handicapées, contre les homosexuels.
Que faire ? Il faut agir. Travailler sur les mentalités, la concertation mais il faut légiférer.
Il y a de quoi s’inspirer de ce qui se passe dans d’autres villes. Chez nous déjà, à Gand, Anvers, Louvain, même si elles ne sont pas parfaites, les autorités locales mènent des initiatives pour améliorer la politique d’admission.
Prendre exemple sur la ville de Gand, qui depuis 2011, oblige les établissements horeca qui recourent à des services de portiers à installer une caméra de surveillance à l’entrée et/ou à la sortie. Il a été complété en 2013 par l’obligation pour les établissements du secteur Horeca d’afficher clairement à leurs entrées un numéro gratuit central de sms et une adresse mail en vue de signaler des cas de discrimination. Le SMS qui est ensuite transféré vers Unia. Même si Unia estime que très peu de personnes utilisent ce numéro et que c’est difficile de traiter chaque plainte individuellement », cette mesure doit faciliter le signalement d’éventuels refus d’accès pour des raisons discriminatoires et exercer un effet dissuasif sur les établissements horeca et les portiers.
A Louvain, une autre mesure oblige les portiers à remplir un registre de refus. Ils doivent réellement justifier pourquoi ils refusent l’accès à certaines personnes.
A Rotterdam, aux Pays-Bas, à l’entrée de presque tous les lieux de sortie, il y a système de code-barres. Les personnes se sentant victimes de discrimination n’ont qu’à le scanner. Cela permet de repérer les établissements où il y a le plus de plaintes et de pouvoir entamer des discussions avec leurs gérants ». Aucune de ces mesures n’est parfaite mais elles ont le mérite d’exister et témoignent d’une volonté de lutter contre le phénomène.
A côté de ces mesures ‘numéro de sms gratuit, caméras de surveillance, etc., des mesures doivent être prises. Je pense à la sensibilisation, l’information du grand public, la formation des acteurs de terrain ;
Je pense à une concertation et un dialogue direct avec Unia, le secteur horeca, les autorités locales, les zones de police, le Parquet, les portiers, les exploitants, les associations, les usagers.
Je pense à la mise en œuvre des dispositifs, d’une part, de contrôle et, d’autre part, de suivi des plaintes de ce type de discriminations, en collaboration avec le Centre interfédéral pour l’égalité des chances. De plus, les boîtes de nuit devraient mettre en place un système d’affichage clair reprenant les différentes règles à respecter pour entrer comme l’obligation de porter une chemise ou de disposer d’une carte de membre.
Je pense à des tests de situation à l’instar de ce qui va se mettre en place au niveau du logement et de l’emploi. Les tests de mise en situation se sont avérés être une méthode éprouvée pour dénoncer cette problématique.
L’installation de caméras de surveillance aux entrées de discothèques permettra en cas de plainte, de vérifier via les caméras si la discrimination est réelle. »
Dans le futur, on pourrait même aller plus loin et instaurer une sorte de label diversité. Les établissements souhaitant lutter contre la discrimination pourraient en faire partie.
Certes, la Région ne dispose pas de la compétence de police. Il faut passer par le niveau local et communal. Il est donc important que la Région apporte soutien et conseil aux communes. Pourquoi ne pas faire un inventaire des bonnes pratiques et de le mettre à la disposition des communes.
Prévention, concertation et sanction.
Je sais, pour certains, ce genre de discrimination est mineure mais aucune discrimination n’est mineure. Surtout quand elle touche au quotidien de nombreux citoyens. Surtout quand elle est invisible. Surtout quand elle touche à la cohésion sociale. Quand elle mène au repli sur soi. Quand elle alimente l’exclusion. Quand elle contribue à fragmenter la société. Légiférer est aussi un moyen de travailler sur les changements de mentalités.
Avec ces deux textes, nous posons un acte de plus pour une Région plus interculturelle, ouverte à toutes et à tous. Il y a un beaucoup de travail en profondeur à faire pour construire une communauté de citoyens, égaux, généreuse et accueillante, où chacun aurait sa chance. Cela nécessite des efforts, une véritable relation de confiance, de tolérance, de respect mutuel, de réciprocité, de mains tendues. A nous de nous y atteler avec un pacte de solidarité, de justice sociale, de responsabilité et d’égalité. Cela fait partie d’un contrat de citoyenneté partagée. Car vivre ensemble, c’est aussi s’amuser ensemble.