Parlement régional bruxellois
Intervention de Fatoumata Sidibé en séance plénière du 19 juin 2015 – Déplacements des femmes et le sentiment d’insécurité à Bruxelles
Ce mois de juin, Brussels Studies a présenté une étude de Marie Gilow : « Déplacements des femmes et sentiment d’insécurité à Bruxelles : perceptions et stratégies ». Cette étude pointe les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de déplacement à Bruxelles. La réponse est disponible ici.
Après le slogan mon corps m’appartient, il faut se mobiliser pour dire « la rue m’appartient aussi ».
À Bruxelles, « on se déplace de plus en plus à pied ! » . En effet, selon l’Observatoire de la mobilité, 37 % des déplacements internes en RBC sont piétons, contre 32 % effectués en voiture et 24.4% en transports de la STIB .
Pro Velo avait par exemple mené une enquête montrant que « 70 % des cyclistes comptés à Bruxelles sont des hommes » . La part des femmes n’accuse qu’une légère progression depuis 15 ans.
Selon l’article de la Libre titré « Piétonnes en péril à Bruxelles », plus de 50% des piétons bruxellois sont en fait des piétonnes… On se souvient du documentaire « Femmes de rue » de Sofie Peeters en 2012 qui avait sensibilisé l’opinion publique à l’expérience des piétonnes bruxelloises confrontées au harcèlement de rue.
Les femmes représentent un groupe d’usagères spécifiques. Elles sont défavorisées pour différentes raisons. Et pourtant, ce sont elles qui davantage accompagnent les enfants à l’école, font les courses. Beaucoup de femmes n’ont pas les moyens d’avoir un véhicule. Si les hommes utilisent plus leur véhicule pour se rendre directement à leur travail ou pour leurs loisirs, entre leur domicile, les crèches et les écoles, leur travail et les magasins, les femmes font plus de petits trajets, à pied, souvent en transports en commun. Elles sont donc surreprésentées dans les transports en commun.
La mobilité n’est donc pas neutre.
On sait bien qu’il y a un décalage entre l’insécurité vécue par les femmes et leur insécurité réelle. Alors que « les jeunes hommes sont le groupe le plus exposé aux actes de violence dans l’espace public, les femmes expriment en moyenne trois fois plus souvent la peur du crime que les hommes » . Mais ce décalage ne trouve pas son origine dans l’essence des femmes, ni dans une éducation toujours déjà genrée, à l’insu de notre plein gré. Que ce soit bien clair : les femmes ne sont pas, ni par nature, ni par éducation, plus craintives ou plus vulnérables que les hommes. Il faut faire l’effort intellectuel d’y voir un mécanisme beaucoup plus silencieux, beaucoup moins facile à décrire : celui de l’intériorisation des structures de pouvoir en activité, notamment, dans nos rapports sociaux. Le sentiment d’insécurité « ne se limite pas à un problème de sécurité qui demanderait une solution sécuritaire » .
Dans Brussels Studies, l’urbaniste Marie Gilow étudie justement la manière dont l’intériorisation des structures de pouvoir affecte les pratiques de mobilité des Bruxelloises. La première partie de l’étude « portant sur l’organisation des trajets, témoigne de tous les petits subterfuges et stratagèmes auxquels se livrent les femmes afin de se déplacer dans Bruxelles » .
Le sentiment d’insécurité peut conduire à renoncer à la mobilité et à modifier ses comportements : cela va du changement de trottoir, au choix des vêtements, à la place choisie dans le métro, en passant par l’établissement préalable d’une cartographie mentale des déplacements « sûrs », et jusqu’à la décision d’éviter certains déplacements tardifs. « Des murs invisibles (…) se dressent et délimitent les espaces accessibles aux femmes » .
Il ressort de cette étude que les compétences sociales, les ressources économiques et intellectuelles, la possibilité d’avoir une voiture sont autant de facteurs qui peuvent aider les femmes à repousser les limites imposées par le sentiment d’insécurité.
Nous connaissons toutes ce sentiment d’insécurité. Le sentiment d’insécurité, c’est celui qui nous envahit en traversant une rue mal éclairée, un long couloir dans un métro. C’est le sentiment qui nous empêche de sortir le soir, de fréquenter certains lieux, qui nous interdit de jouir librement de l’espace public. C’est le sentiment exacerbé par la malpropreté des rues, les éclairages adaptés, les dépôts d’immondices, les terrains vagues, les immeubles abandonnés et squattés, les nuisances sonores, les bris de voitures. La réalité montre que ce sentiment d’insécurité peut être en lien avec une insécurité bien réelle. En effet, à défaut d’avoir été victimes ou témoins, nous connaissons tous autour de nous des personnes confrontées à des problèmes d’insécurité : agressions verbales ou physiques, harcèlement de rue, gestes ou regards déplacés, insultes, intimidations par des bandes… Autant de violences qui n’apparaissent pas dans les statistiques mais qui expliquent aussi en partie le sentiment d’insécurité.
Fin 2012, l’asbl Garance avait publié les résultats d’un projet pilote « Espace public, genre et sentiment d’insécurité » dont l’objectif était de mener une recherche participative pour développer une lecture sexuée de l’espace public en termes de sentiment d’insécurité et de sensibiliser les élu/e/s, fonctionnaires et professionnel/le/s dans ce domaine aux besoins spécifiques des femmes. Leur démarche état centrée sur l’intersection entre genre, espace public et sentiment subjectif d’insécurité. Ce sentiment d’insécurité dans les rues de Bruxelles lors de 19 marches exploratoires réalisées dans différents quartiers. L’asbl avait déjà émis toute une série de pistes.
Il faut inciter les femmes à investir l’espace public. Quand il n’y a que des hommes dans un lieu, les femmes s’auto-sanctionnent car elles se sentent mal à l’aise, objet de regard. La présence féminine dans les lieux à dominance masculine peut inciter d’autres femmes à y être. Il faut donc travailler sur la mixité de genre. Les mesures et aménagements qui favorisent la présence des femmes est un levier d’encouragement pour d’autres femme. Je souligne l’initiative positive de l’association Awsa « Femmes au café » qui consiste à et je cite leur site « à organiser des sorties mensuelles dans certains cafés dits « arabes » depuis mars 2008 à Bruxelles. Dans les quartiers où la population originaire du monde arabe est importante, de nombreux cafés sont uniquement fréquentés par des hommes. C’est à partir de ce constat que l’idée de l’activité « Femmes au café » est née. Ces visites visent à créer un espace de mixité de genre mais aussi d’origines et de classes et un espace d’échanges sincères, respectueux et ouverts entre hommes et femmes.
L’étude de Marie Gilow démontre également que ce sentiment d’insécurité n’est pas « purement psychologique », ni « irrationnel », mais bien « une expérience partagée ». Cela signifie que la question est politique : elle concerne l’aménagement et le partage inégal de l’espace public.
Par exemple, depuis le 10 juin 1996, la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal (STCUM) permet aux femmes voyageant seules de descendre entre deux arrêts le soir à partir de 21:00 heures. Un service similaire existe aussi à Toronto et à Delson, Sainte-Catherine, Saint-Constant au Québec. Chez nous, de tels services n’existent pas, et à ce sujet, l’étude met en cause la « faible présence féminine dans la planification et la gestion, notamment en matière de mobilité » .
Tout récemment, la presse a relayé, l’hypothèse, par la région bruxelloise, d’instaurer un système de « taxis roses », c’est-à-dire des taxis pour femmes exclusivement conduits par des femmes à l’instar de ce qui se passe dans d’autres villes comme Londres, New York, Dubaï, Beyrouth et dans d’autres villes mexicaines et brésiliennes.
J’en viens ainsi à mes questions aux ministres que je remercie déjà pour leurs réponses :
Avez-vous connaissance des recommandations de l’ONU en la matière , et comment vous positionnez-vous par rapport à ces dernières ? L’étude de Brussels Studies a-t-elle apporté un éclairage spécifique permettant d’influencer vos politiques ?
Comment appliquez-vous l’ordonnance bruxelloise portant sur l’intégration de la dimension de genre dans vos politiques ?
Quels sont vos collaborations avec les associations de femmes sur cette problématique ?
Quelles solutions comptez-vous apporter au sentiment d’insécurité tel que nous venons de l’évoquer ?
La possibilité d’’arrêt de bus à la demande, à certaines heures de la nuit et pour certaines lignes est une piste surtout lorsque la distance entre deux arrêts est grande, quand le lieu est reculé, obscur, etc. Est-ce possible de transposer à Bruxelles un service similaire à celui proposé au Canada de descente entre deux arrêts ?
Quelle est votre position concernant l’hypothèse de mettre en place un service de taxis roses conduites par des femmes et pour des femmes ?
Combien de femmes sont employées par Bruxelles-Mobilité, et à quels postes ?