Débat sur la sécurité, la prévention et la lutte contre le radicalisme
PRB-PFB-ARCC
Intervention de Fatoumata Sidibé – Débat sur la sécurité, la prévention et la lutte contre le radicalisme – 6 février 2015. Le compte rendu intégral est disponible ici.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les ministres, chers collègues,
Camus…Albert disait : Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.
Alors nommons les choses. Nommons les choses mais évitons les amalgames, les raccourcis, les généralisations. La majorité des citoyens de culture musulmane de ce pays vivent leur foi, quand ils en ont, en toute tranquillité et ne demandent qu’à vivre en paix.
Je suis noire, ça se voit. Je suis de culture musulmane (ça ne se voit pas). Je suis originaire du Mali, vous savez ce pays dont la partie Nord est tombée en avril 2012 sous le joug de groupes islamistes et terroristes qui ont semé la terreur : lapidation, amputations, viols, imposition du port du voile, destruction de mausolées à Tombouctou. En janvier 2012, avec l’appui de la France, de la CEDEAO et de la communauté internationale, le Mali est entré en guerre pour stopper l’avancée des terroristes djihadistes. Ici et ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Si nous avons la chance que ce film soit remis à l’affiche, je vous invite à voir le magnifique film « Timbuktu » du réalisateur d’origine mauritanienne et malienne Abderrahmane Sissako. C’est film plein d’humanisme qui montre comment une population est prise en otage par des illuminés, des terroristes, autoproclamés procurateurs de dieu.
Quand on cite le Mali, deux noms résonnent tragiquement : Ahmedi Coulibaly et Lansana Bathily.
Deux jeunes. Un, citoyen français a choisi le camp de la barbarie, assassinant des juifs. L’autre a choisi celui de la paix. Il a rejoint le camp des justes en sauvant des juifs.
Qu’est ce qui s’est passé pour que l’un se transforme en tueur et l’autre en soldat de la paix ?
Le phénomène de la radicalisation nous concerne tous, que nous soyons belgo-belges, d’origines diverses, musulmans, catholiques, juifs, athées, de milieu favorisé ou modeste, au chômage ou avec une profession, élève brillant ou en difficultés.
Nous devons guérir et empêcher que l’épidémie se propage. Mais pour cela, il faut poser le bon diagnostic. L’heure n’est pas aux bilans aujourd’hui mais on n’en fera pas l’économie.
Il faudra, sans tabou, poser la bonne question comment en est-on arrivé là ? Et y répondre. Comme le dit un proverbe africain Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.
Pour prévenir et lutter, nous disposons de leviers à travers politique de cohésion sociale. C’est l’occasion de rendre les lettres de noblesse à un secteur associatif qui fait un travail immense sur le terrain.
Je vais aborder quelques axes :
Le Soutien et l’accompagnement scolaire.
Le décrochage scolaire est parfois l’entrée dans le circuit des dérives, de la délinquance. Les ados sont plus influençables. Ils courent le risque de se laisser séduire par des discours extrêmes. Nous devons donc agir plus efficacement contre le décrochage scolaire, investir dans la remédiation pour augmenter le taux de réussite scolaire, accompagner, former, dynamiser les équipes éducatives, mais aussi accompagner les parents qui se sentent parfois seuls et démunis. Ce qui me permet de faire le lien avec le 2ème point.
L’alphabétisation et l’apprentissage du français pour adultes peu ou non scolarisés.
En région bruxelloise, l’analphabétisme est une réalité. Un proverbe malien dit « Kalan baliya yè dibiyé ». Vous avez tous compris n’est-ce pas ? « Celui qui ne sait ni lire ni écrire vit dans l’obscurité ». L’alphabétisation est un outil, essentiel d’émancipation sociale, de progrès économique, de cohésion sociale, d’exercice de la citoyenneté. Et pourtant, on ne dispose toujours pas de données statistiques permettant d’appréhender l’ampleur du phénomène. Comment dès lors évaluer, ajuster les politiques et les pratiques du secteur ; un secteur qui demande de diversifier l’offre de formation en alphabétisation pour tous les publics et d’assurer une meilleure coordination des politiques publiques. Il y a des personnes qui vivent ici depuis de très nombreuses années, 5-20 ans et qui sont dans les mêmes conditions que certains primo-arrivants.
C’est le moment de donner un grand coup d’accélérateur et de concrétiser le parcours d’’accueil et d’accompagnement des primo-arrivants qui ont besoin qu’on leur donne les moyens de s’insérer durablement et dignement au sein de notre société.
Et en parlant de dignité, je vais parler de la jeunesse. Celle qui a l’air d’ailleurs mais qui est d’ici. Nous en sommes à la deuxième, troisième génération. Ils sont nés ici. Ils sont belges. Ce n’est pas d’intégration qu’il faut parler, mais d’adhésion à la citoyenneté pleine et entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Il est urgent de donner espoir à la jeunesse si on ne veut pas qu’elle soit attirée par le chant des sirènes intégristes. Prenons des mesures concrètes pour lutter, dans de nombreux quartiers, contre la violence économique, sociale, de rue, la stigmatisation des jeunes et leur mise à l’écart des processus d’insertion sociale, les discriminations en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de loisirs.
Les jeunes ont besoin d’exemples positifs. Il y a une jeunesse talentueuse, ambitieuse, brillante, motivée, déterminée, courageuse qui cultive l’excellence.
Nommons les choses
Si les conditions sociales et économiques difficiles sont un terreau fertile au radicalisme, il faut nommer l’existence d’un projet politique dans le monde pour propager l’islamisme. La radicalisation peut débuter dans la rue, via une copine, un copain, les réseaux sociaux pour lesquels une éducation aux médias s’impose. Mais il y a aussi certains lieux de cultes.
Si certains religieux souhaitent sincèrement apporter une nourriture spirituelle aux personnes, d’autres prêchent le radicalisme et des valeurs à l’opposé de nos valeurs démocratiques.
Le phénomène de l’islam des caves est présent depuis longtemps, de manière insidieuse, anarchique et sans grand contrôle.
On y propage des messages sans rapports avec l’humanisme musulman, avec les Lumières, avec ses traditions les plus libérales. Si on veut lutter contre le radicalisme, on ne peut plus tolérer les prédicateurs qui propagent l’idéologie de haine.
Nous avons le devoir d’inspirer des visions nouvelles du progrès pour tous : pas chacun dans sa petite boîte identitaire. Pas chacun de son côté : mais tous et toutes ensemble.
C’est dans ce sens que nous plaidons en faveur de la suppression des cours de religion et de morale pour rassembler tous les élèves dans un cours de réflexion morale et philosophique dont le programme serait articulé autour de la pensée philosophique, l’histoire des religions, la citoyenneté.
Nous devons rappeler à tous qu’il y a des valeurs sur lesquelles on ne peut pas transiger : l’État de droit, la liberté d’expression, la liberté de conscience, la séparation de la religion et de l’État, l’égalité homme/femme, l’égalité en droits et en devoirs entre tous les citoyens.
Il y a aussi un travail pédagogique à faire pour favoriser l’adhésion à la citoyenneté. Aujourd’hui, plus que jamais, il et important de réfléchir sur un nouveau modèle de société que les FDF défendent depuis longtemps : celui de la laïcité de l’état.
Un modèle où
- l’Etat est mis au centre du débat,
- les citoyens sont tous réunis autour d’un socle de valeurs communes,
- le religieux est cantonné à la sphère privée,
- qui garanti la liberté religieuse, celle de croire ou de pas croire.
Nous estimons qu’au au travers du concept de laïcité, l’État belge peut trouver les moyens de renforcer la citoyenneté et la cohésion sociale.
Et enfin, en tant que femme de culture musulmane, je voudrai terminer par un constat. Durant des années, dans ma vie associative antérieure, je n’ai cessé, avec d’autres, d’attirer l’attention sur la dégradation sociale dans certains quartiers, la montée du l’obscurantisme, du prosélytisme religieux, la remise en question de la mixité.
On a peu à peu érigé autour des femmes un univers carcéral, on les réduites à des marqueurs identitaires, on a transformé les services publics et l’école en théâtre de revendications religieuses ou supposées telles, on a donné aux intégristes l’occasion de trouver dans certains quartiers populaires un terreau fertile à la propagation de leur idéologie obscurantiste.
Aujourd’hui, le radicalisme touche aussi les filles. Parmi les personnes qui partent rejoindre les zones de combat, il y a des femmes, des jeunes filles. Dans le monde, des femmes des filles, des petites filles sont utilisées comme arme de destruction, sans compter toutes les violences qu’elles subissent parce qu’elles sont femmes.
Et pourtant, on en parle peu.
Notre devoir est d’accorder une vigilance soutenue à ce public, de lutter contre la radicalisation des femmes et des filles.
Faut-il le rappeler ? La première femme kamikaze européenne à avoir perpétré un attentat suicide était une belge. C’était en Irak. C’était en 2005. Dix ans déjà.
Mesdames et messieurs. Nous ne pouvons plus choisir des solutions fractionnées comme un plombier qui se contenterait de réparer les fuites sans regarder l’état des tuyaux.
On doit lutter concomitamment contre la montée de l’obscurantisme, de l’intégrisme, du sexisme, de la misogynie, de l’homophobie, de l’antisémitisme, de la musulmanophobie, des racismes, de l’extrême droite, des fascismes de tout bord. Nous ne devons plus seulement vivre ensemble. Nous devons faire société ensemble.
Et pour finir, je me fais le relais de la voix de Michel Colson, qui s’est cassé la voix.
Il tient à rendre hommage au travail extrêmement de cohésion sociale réalisé par les mondes associatifs bruxellois. Il rend aussi hommage à une institution publique locale dont la déclaration de politique générale du Collège Réuni confirme qu’elle doit être « le fer de lance de la politique publique sociale locale » notamment, par une meilleure coordination avec tous les acteurs associatifs et publics. Il veut bien entendu parler des Centres Publics d’Actions social, les CPAS.
En matière de cohésion sociale, le rôle des CPAS est déterminant par ce que c’est seul pouvoir public qui octroie une aidé individualisée et personnalisée.
Que deviendrait notre Ville-Région sans leurs actions au quotidien ?
Si l’on cumule les chiffres des bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, de son équivalent, de tous les bénéficiaires en matière d’insertion socioprofessionnelle et d’aide médicale, nous atteignons plus de 80.000 bruxelloises et bruxellois !
Ces chiffres extrêmement impressionnants, nous obligent à rendre un hommage vibrant aux travailleurs sociaux de première ligne qui accompagnent ce public souvent en décrochage et sans lesquels notre Région bruxelloise deviendrait rapidement une véritable bombe sociale.
Dans ce cadre, Monsieur Colson en appelle au renforcement et non au démantèlement des CPAS, comme cela est programmé en Flandre et fait hélas débat en Wallonie. Cela passe par le maintien de leur autonomie mais aussi par un juste refinancement de ces institutions publiques locales de solidarité et de cohésion sociale afin qu’elles puissent remplir véritablement leurs missions légales, capitales aujourd’hui !