LA LIBRE.BE
Société
Quelle prise en charge des victimes de mariages forcés ?
Stéphanie Bocart
Mis en ligne le 13/11/2010
L’accompagnement spécifique des victimes de mariages forcés fait défaut. La députée Fatoumata Sidibé (FDF) a déposé une proposition de résolution.
L es mariages forcés, arrangés, subis, précipités sont une réalité que vivent chaque année des jeunes issus de l’immigration. Et bien que cette réalité soit difficile à cerner statistiquement, des études permettent de définir quelque peu l’ampleur du phénomène en Belgique. Ainsi, selon une étude réalisée par l’ULB en 1999 auprès des femmes marocaines et turques de Bruxelles et de la Flandre, 27 % des femmes sondées âgées de plus de 40 ans déclarent avoir été victimes d’un mariage forcé.
En 2004, l’UCL a également mené auprès de 1 200 élèves de 15 à 18 ans une enquête sur « les aspirations et attentes des jeunes envers le mariage ». Résultats ? 23 % des jeunes interrogés ont reconnu avoir été concernés de près ou de loin par le phénomène des mariages forcés; 7 % ont admis avoir eu connaissance d’un mariage forcé dans leur famille et 16 % ont constaté de telles pratiques dans leur entourage.
Pour la députée bruxelloise Fatoumata Sidibé (FDF), ancienne présidente du Comité belge « Ni putes ni soumises », « la problématique des mariages forcés est loin d’être marginale » et ce d’autant que les résultats de ces études restent bien en deçà de la réalité.
Une réalité à laquelle sont souvent confrontées les associations de terrain. Une quinzaine d’entre elles ont donc décidé de se coordonner au sein du réseau « Mariage & Migration » (« LLB » 12/11). Mais il existe d’autres initiatives : publications de brochures, campagnes de prévention et de sensibilisation, plan d’action national de lutte contre les violences entre partenaires, etc.
« Ce n’est pas tout de sensibiliser, il faut encore pouvoir donner une réponse concrète aux victimes de mariages forcés, contraints ou subis , estime Fatoumata Sidibé. Or, aujourd’hui, il n’existe aucune structure d’accueil spécifique. Même la police est démunie. Souvent, cela se fait au cas par cas : des associations mettent les victimes en contact avec d’autres associations qu’elles connaissent. Certes, il faut un accompagnement en terme d’informations mais également en terme d’hébergement » , insiste-t-elle. Car de nombreuses jeunes femmes victimes de mariages forcés sont souvent très jeunes et encore étudiantes.
« L’important est de les retirer d’un environnement coercitif (violences conjugales, physiques, psychologiques, précarité, isolement social ) et de leur permettre de se reconstituer quelque temps dans un lieu qui n’est pas un refuge pour femmes battues car la problématique est différente mais bien dans un lieu où elles seront encadrées par une équipe pluridisciplinaire qui leur permettra de se reprendre en main » , plaide la députée. Et s’il existe bien l’ASBL verviétoise « Insoumise et dévoilée » qui vient en aide dans l’urgence aux jeunes femmes confrontées à des mariages forcés, « c’est insuffisant » , juge Mme Sidibé. Car il importe aussi d’encadrer ces jeunes filles sur le long terme : assurer leur suivi scolaire mais surtout les aider à préserver le lien avec leur famille « parce que dans ces cultures, la rupture familiale est vécue comme une petite mort » .
Pour Mme Sidibé, « le problème est trop important pour être laissé entre les mains du monde associatif qui se débat à la mesure de ses moyens » . C’est pourquoi, elle a déposé avec d’autres députés MR au Parlement francophone bruxellois une proposition de résolution « visant à créer des structures d’accueil spécifiques pour l’accompagnement des victimes de mariages forcés, contraints ou subis ». Avec un objectif : auditionner le monde associatif afin d’entendre son vécu et ses propositions.
Qu’en est-il sur le terrain ? « Il existe pas mal d’associations et de services sociaux qui existent pour aider les femmes victimes de violences, mais dès le moment où ces femmes n’ont pas passé trois ans sur le territoire belge (NdlR : la loi belge prévoit trois ans de cohabitation) , on est très démunis car il y a de fortes probabilités que ces femmes reçoivent un ordre de quitter le territoire » , explique Amandine de Cannière du Bureau d’aide aux victimes de Molenbeek-Saint-Jean, membre du réseau « Mariage & Migration ». Et le retour au pays n’est que rarement et difficilement envisagé : « Ces femmes sont venues en Belgique. Elles ont tout abandonné dans leur pays; y retourner serait un déshonneur. Certaines ne l’envisagent même pas car comment expliquer cela à la famille ? » , poursuit Amandine de Cannière. Dès lors, « à partir du moment où ces femmes n’ont plus de papiers et se trouvent en séjour illégal sur le territoire belge, il n’y a aucun moyen d’aide concret, il n’y a pas d’hébergement spécifique. Elles se retrouvent à la rue, hébergées par des marchands de sommeil ou exploitées. Les services sociaux peuvent les aider dans leurs démarches, mais elles n’auront jamais d’aide financière du CPAS, hormis l’aide médicale urgente » .
Maria Miguel-Sierra, directrice de l’association « La Voix des femmes », également membre du réseau Mariage & Migration, atteste : « Il y a toute une série de mesures qui sont prises mais sur le terrain, on se rend compte que si ces mesures prises individuellement peuvent être bonnes, elles sont insuffisantes. L’une des finalités du réseau est donc d’attirer l’attention des autorités sur ces manques de soutien spécifiques pour les femmes victimes de mariages forcés, à intégrer éventuellement dans des dispositifs plus généraux. Mais, là on n’est qu’au début «