Interpellation de Fatoumata SIDIBE à Emir KIR, Ministre chargé de l’Action sociale et de la Famille – 5 mars 2010
Concerne : Les mariages forcés. L’interpellation est disponible ici.
En Belgique, en 2004, la Direction de l’Egalité des Chances a réalisé une étude sur les mariages forcés intitulée : « Le mariage : un choix pour la vie ? » ; une enquête sur les aspirations et attentes des jeunes envers le mariage ». Cette enquête, menée par l’UCL à la demande de la Communauté française, portait sur 1200 élèves (de 15-18 ans) à Bruxelles, Liège et Charleroi.
Elle a révélé que 23% des jeunes interrogés ont reconnu être concernés de près ou de loin par le phénomène des mariages forcés.
Une enquête menée en 2007 par Michèle Waelput, professeur de psychopédagogie, auprès de 270 étudiants (70% de filles et 30% de garçons) de l’enseignement supérieur de deux hautes écoles à Mons confirmait ce constat inquiétant.
A la question « les mariages forcés existent-ils encore », 52% des élèves ont répondu souvent et très souvent. 14,81% ont déjà eu connaissance d’un ou plusieurs mariages forcés dans leur entourage. 23,88 % ont répondu connaître des cas de mariages forcés chez leurs amis ou connaissance.
Selon cette enquête, les filles les plus touchées sont originaires des zones géographiques suivantes : l’Afrique du Nord (41%), l’Afrique Noire (22%) et l’Asie (28%).
Les raisons invoquées : 26% traditions, 23% obligation familiale, 20% raisons religieuses, 14% régularisation de papiers.
Depuis lors, d’autres études ont-elles été menées ou sont-elles en cours ? Nous combattons mieux ce que nous connaissons. Disposer de chiffres permettra de contrer ceux qui pensent qu’il s’agit d’un phénomène marginal.
Soyons clairs, derrière les mariages forcés, il y a le contrôle du corps de la femme et de la sexualité, le retour en force du voile, la remise en question de la mixité, la surveillance des frères proclamés gardiens de l’honneur de la famille.
Face aux mariages forcés ou de risques de mariages, on ne peut que constater que des témoins, proches, associations restent démunis face à l’insuffisance de structures de prévention, d’accueil, d’accompagnement, d’hébergement et de protection.
De nombreux enseignants et professeurs font part du constat que des étudiantes mettent soudainement fin à leur cursus scolaire contre leur gré, généralement pour contracter un mariage arrangé, forcé. Ils font part du travail difficile qu’ils mènent au quotidien pour écouter ces filles et tenter de les accompagner.
Nous sommes vraiment loin des préjugés et des stéréotypes car beaucoup de ces jeunes filles aujourd’hui victimes de mariages forcés sont citoyennes belges, scolarisées, étudiantes, indépendantes financièrement pour certaines.
Les moyens coercitifs utilisés pour forcer leur consentement sont nombreux : chantage affectif, contraintes physiques et psychologiques, enlèvement, séquestration, confiscation de papiers d’identité, etc.
On leur refuse le droit de choisir le compagnon de leur vie.
Elles doivent interrompre leurs études et de ce fait on leur enlève la possibilité d’être autonomes financièrement. Des jeunes filles désemparées subissent des pressions pour renoncer à un compagnon de confession différente.
Ces jeunes filles sont isolées, tiraillées entre le sentiment de trahir leur famille, d’être trahies par elles et le sentiment de culpabilité.
En 2007, la Belgique s’est dotée d’une loi insérant un article dans le Code pénal et modifiant certaines dispositions du Code civil en vue d’incriminer et d’élargir les moyens d’annuler le mariage forcé.
Quel bilan depuis la mise en vigueur de cette loi ? On le sait, peu de jeunes filles vont porter plainte contre leurs parents quand bien mêmes les charges retenus contre eux le leurs permettraient.
En janvier 2008, une recherche réalisée par Pascale Meunier pour l’Observatoire social de Télé-Accueil Bruxelles intitulée « Les femmes issues de l’immigration appellent aussi Télé-Accueil Bruxelles », rapporte :
« On entend des propos très durs au 107, des filles menacées de mort par leurs parents par exemple. Le caractère plénipotentiaire du père est intériorisé. Dans le chef de jeunes filles, cela peut aller jusqu’au droit de vie ou de mort des parents sur leurs enfants. Ce droit de tuer dit la force du père, même s’il ne va pas tuer (mais les faits divers rapportent parfois de telles extrémités). C’est quelqu’un qui a un pouvoir énorme. Le père décide de ce que l’on fait, dont le mariage. Celle qui transgresse, qui faute, se fait rappeler violemment à l’ordre physique et moral ».
Les femmes musulmanes, et je suis issue de cette culture, ne sont pas les seules à subir un modèle patriarcal mais il est important que celles qui souhaitent se libérer des traditions, s’affranchir des pressions de certains membres de leur communauté puissent être accueillies et accompagnées.
Il faut travailler en amont, avant que le mariage ne soit scellé car la preuve du caractère forcé et contraint est parfois difficile à apporter après la célébration du mariage.
Nous devons soutenir toutes ces femmes dans leur aspiration au bonheur, et c’est d’ailleurs ce que fait déjà notre institution par l’entremise de diverses associations dont le réseau mariage et migrations, le GAMS. Cependant, il est nécessaire, urgent et indispensable de mettre en place des dispositifs d’informations et de sensibilisation à destination des familles, pères, frères, maris, oncles, prédicateurs pour rappeler l’impérative égalité entre les hommes et les femmes dans notre société, rappeler que l’union entre deux êtres est un choix que « le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des époux » et que cela n’est pas négociable.
Nous devons le faire, sans complaisance ni laxisme, en évitant de nous enfermer dans des logiques électoralistes et communautariste. Dénoncer n’est pas stigmatiser. Nous avons un rôle préventif et de sanction.
Car, c’est aussi l’impunité qui permet aux violences faites aux femmes de perdurer. A l’heure où je vous parle, des jeunes filles vivent dans la clandestinité, traquées par leurs propres familles, séquestrées, violentées. Elles ne savent pas où s’adresser pour échapper à ces tortures morales et physiques, obtenir protection et sécurité.
A la lumière de ce qui précède, je souhaiterais vous poser les questions suivantes :
– L’information étant certainement le meilleur moyen de lutter contre les mariages forcés, pourriez-vous préciser quels sont les dispositifs qui ont été mis en place ?
– Qu’en est-il de l’accueil, l’hébergement et de l’accompagnement pour ces jeunes filles ?
– De nombreuses jeunes filles qui font appel le font « au dernier moment », c’est-à-dire quand le dialogue avec la famille est rompu et qu’elles ont compris que le mariage préparé par la famille est imminent. Quelles sont les pistes pour le traitement de l’urgence liée à ces situations ?
– Dans une précédente interpellation, vous évoquiez la volonté de ce Gouvernement d’organiser une formation spécifique pour informer les travailleurs communaux et les élus locaux sur le Code marocain de la famille – la Moudawana. Où en est ce projet ? Quels en sont les résultats ?